Elle est la seule institution nationale dédiée à l’art contemporain avec un centre d’art, une école supérieure d’art, une résidence d’artistes et une bibliothèque spécialisée. Son directeur nous raconte son histoire et ses transformations et nous confie sa vision pour ce lieu de création.
Qu’était originairement la Villa Arson ?
Au XVIe siècle, ce site est celui où, pour en faire leur terrain agricole avec l’autorisation des capucins qui étaient déjà là, s’installent des moines italiens fuyant la peste qui sévit dans leur pays. Ce sont eux qui ont planté, en 1530, les premiers oliviers que l’on voit en arrivant à la Villa. Le site était donc d’abord un espace de production agricole, tandis que l’abbaye était installée juste en dessous. Au début du XIXe s’installe ici Pierre-Joseph Arson, premier consul à Nice à l’époque où la ville était rattachée au comté de Piémont-Sardaigne. Arson fait de la villa sa demeure d’apparat, avec la maison rouge, qui est actuellement son siège d’administration, et un autre bâtiment attenant. Il aménage un jardin à l’italienne en terrasses, qui descend progressivement en regardant vers la mer. Quand il s’en va, la villa est transformée en hôtel, puis en clinique psychiatrique pour devenir, enfin, la propriété de la Ville de Nice. Celle-ci la cédera au franc symbolique à l’État, pour permettre à André Malraux d’y réaliser le projet qu’il porte pour la décentralisation de la culture et de l’enseignement artistique en France. Considérant que les Beaux-Arts de Paris étaient un endroit très conservateur et académique, Malraux a voulu créer cinq grands sites capables de rivaliser avec la capitale en termes d’enseignement, de production et de diffusion artistiques. Ce devait être des lieux de grands projets architecturaux, portant en eux une grande volonté d’innovation. La Villa Arson, qui en faisait partie, a été confiée à Michel Marot, Grand Prix de Rome, qui était à l’époque l’un des architectes de l’État en charge de la Côte d’Azur et de la Corse. La Villa sera son chef-d’œuvre, le lieu de cristallisation de toutes ses expériences et de sa philosophie.
Quelle a justement été la démarche de Marot ?
Il a rassemblé sur le même site un lieu d’enseignement et de production, avec la vision, totalement novatrice à l’époque, de faire une université des arts dont l’enseignement serait confié à des artistes accueillis en résidence et dont la présence serait sans cesse renouvelée. Sa grande force a été de reprendre la structure de l’endroit, qui est délimité par les grands arbres plantés par les moines puis par Pierre-Joseph Arson. Il a aussi repris le principe du jardin en terrasses et la structure de départ, mais en créant un jardin suspendu. Et puis surtout, il en a fait un site qui se dissimule dans le paysage, que l’on ne peut percevoir d’un quelconque endroit de Nice ; si on va sur une autre colline se dévoilent juste une bande verte, correspondant aux cyprès, et une tache rouge au milieu, qui est la maison originelle des Arson. C’est donc une architecture furtive, qui n’est pas ostentatoire et se révèle entièrement tournée vers les enjeux de création. Pour accentuer cette fusion, il a de plus fait recouvrir la totalité des murs de galets récupérés dans le Var. C’est une façon de reprendre le principe de la calade, que l’on connaît très bien en Méditerranée, mais en la redressant pour la mettre dans la verticale et organiser une sorte de fusion entre architecture et paysage. Ce projet extrêmement puissant et visionnaire conjugue aussi l’intime et le monumental, car Marot a voulu concevoir un site dans lequel on peut s’isoler, voire se perdre, et présentant en même temps des traits marqués par l’esprit brutaliste de l’époque.
Au-delà d’un plan d’architecture, c’est aussi une forme de plan d’urbanisme.
Absolument. Le site, qui fait aujourd’hui plus de deux hectares et demi, a été pensé comme un village de la création, avec des bâtiments différents et des circulations entre eux, et conçu avec l’idée d’être le plus modulable et le plus adaptable possible. « C’est étonnant, ai-je dit jadis à Marot lors d’un entretien, de voir comment, au cours des cinquante dernières années, votre bâtiment s’est parfaitement adapté à toutes les évolutions de la création contemporaine. » Et il m’a répondu : « Oui, c’est comme dans les villages en Italie. Les habitants changent, mais la structure reste ». Cela est tout à fait vrai. Et puis, surtout, il faut souligner un soin particulier porté à la capacité de l'endroit de mettre en valeur la création. Dans tout le site, c’est le traitement de la lumière naturelle qui va organiser vraiment des lieux destinés à la magnifier et à mettre en scène les formes artistiques qui s’y développent, comme des effets de révélation. Il a vraiment fait de ces espaces des sortes de théâtres qui mettent en scène les objets qui y sont produits. Il a organisé cette conversation permanente entre le site, sa vocation, le paysage, le contexte et ceux qui l’habitent. Il s’agissait aussi dès sa conception de scénographier la rencontre des œuvres avec le public, d’où la création de vastes espaces d'exposition, 1 200 mètres carrés, et des jardins qui sont aussi ouverts à la promenade.
Quelle est votre vision pour la Villa ?
C’est l’élargissement de l’ouverture et du dialogue, notamment avec les scènes artistiques à l’échelle du monde. En effet, la Villa est un lieu tellement parfait, tellement idéal, qu'elle est aussi traversée par de puissantes forces centripètes, et si l’on n’y prend pas garde, elle peut assez rapidement avoir tendance à se refermer sur elle-même. Donc, les enjeux forts sont ceux d’ouverture et de rayonnement, qui se concrétisent notamment par la mise en place d’une nouvelle stratégie pour les résidences internationales. C’est pourquoi nous établissons des partenariats avec toute une série d’institutions étrangères qui accueillent des artistes et des chercheurs. Cela nous permet d’entrer en dialogue avec eux, en offrant à nos étudiants la possibilité d’enrichir leur formation par le croisement et la découverte de nouvelles formes d’expression, et puis d’accueillir ces artistes étrangers et d’exposer les œuvres produites, afin de permettre au public d'aller à la rencontre de ces nouveaux récits. L’autre vision que l’on porte est de faire en sorte que la création contemporaine soit aussi un vecteur de connaissance du monde et des enjeux actuels. L’idée est vraiment que les créatrices et créateurs avec lesquels nous travaillons soient aussi porteurs de réflexion sur les sujets de la société d’aujourd’hui et deviennent ainsi acteurs de la transformation qui s'opère. Il s’agit surtout d’éviter de former des artistes qui restent seuls dans leur atelier, attendant le baiser du prince charmant, déguisé en institutionnel ou en collectionneur, mais de les aider à devenir des acteurs d’un monde en pleine mutation. Un autre enjeu que l’on porte est d’accueillir de nouvelles disciplines, notamment d’opérer des croisements avec les pratiques scéniques et le cinéma, ce qui offrira des possibilités d’élargissement du champ de la création absolument considérables.
Comment l’ambiance si particulière de la Villa influence-t-elle les artistes ?
La Villa Arson est une entité qui est très puissamment agissante. C’est un lieu qui imprègne, qui enseigne, qui travaille de manière extrêmement forte les créations qui y naissent. C’est d’ailleurs ce dont il faut se méfier quand on est jeune artiste, parce que la façon dont elle met en scène le travail artistique et le magnifie peut produire des effets parfois assez piégeux. Une production artistique dans le contexte de la Villa Arson résonnera plus fortement et cela ne va pas forcément être la même chose dans un autre contexte. Le résultat est donc très puissant pour les artistes avec lesquels on collabore, mais quand on est jeune créateur, il faut s’exercer aussi à prendre un peu de recul, pour ne pas se retrouver en quelque sorte déçu quand son propre travail est présenté dans un autre lieu.