Installé dans la citadelle de Port-Louis, près de Lorient, le musée de la Compagnie des Indes fête ses trente-cinq ans. L’occasion de redécouvrir un lieu et une collection qui témoignent d’un siècle d’échanges commerciaux entre Orient et Occident.
Soieries et cotonnades indiennes, porcelaines et papiers peints de Chine, laques du Japon, or et ivoire d’Afrique, thé et épices… Pendant un siècle, les navires de la Compagnie des Indes orientales créée par Jean-Baptiste Colbert en 1664 ont regagné les côtes françaises après de longs et périlleux voyages, leurs cales chargées de marchandises exotiques destinées au marché européen. Installé depuis 1984 dans la citadelle de Port-Louis, une forteresse construite aux XVIe et XVIIe siècles à l’entrée de la rade de Lorient, le musée de la Compagnie des Indes fête cette année ses trente-cinq ans. «Il est le fruit d’une réflexion engagée dès les années 1950, à l’époque de la reconstruction de la ville, explique Brigitte Nicolas, conservatrice en chef du patrimoine et directrice de l’institution depuis 2003. Cela avait du sens. Lorient a été officiellement fondé en 1666, avec la construction des infrastructures portuaires de la Compagnie des Indes. À l’occasion du tricentenaire de la naissance de la ville, en 1966, une exposition “Lorient et la mer” a été organisée, et une partie des objets et des œuvres présentés a ensuite été offerte à la municipalité. Cela a constitué le premier noyau de la collection.» Il faudra cependant attendre le début des années 1980 pour que le musée se concrétise grâce à André Garrigues, conservateur de la bibliothèque de Lorient, qui étoffe alors la collection (avec des dépôts du musée de l’Homme, du musée des Arts d’Afrique et d’Océanie…), commande des maquettes de navires et des dioramas, et imagine une première exposition permanente dans la citadelle.
Histoire complexe
Si le parcours de visite a été entièrement repensé en 2007, l’objectif reste le même qu’à l’origine : retracer une histoire complexe, de manière didactique. L’approche est chronologique et thématique pour évoquer la création de la compagnie, la fondation de la ville de Lorient, la vie à bord des navires et, enfin, l’activité des comptoirs établis en Afrique, en Inde, en Chine et au Japon. «La Compagnie des Indes est une version maritime et moderne des routes qui existaient depuis l’Antiquité entre Orient et Occident, celles de l’encens, de la soie, des épices ou de la porcelaine, poursuit Brigitte Nicolas. Elles ont constitué les prémices du modèle d’un marché international en favorisant, outre le commerce, les échanges politiques, diplomatiques, religieux, scientifiques et culturels.» Au XVIIe siècle, la France entend concurrencer les Compagnies des Indes anglaise et néerlandaise, créées en 1600 et en 1602, et obtenir le monopole du commerce avec l’Asie. La déclaration royale du 27 août 1664 annonce la couleur : instaurée par Colbert sous le règne de Louis XIV, la Compagnie des Indes aura «droit de propriété sur les terres occupées, droit de justice souveraine, droit de battre monnaie, d’armer des navires de guerre et de commerce, droit d’esclavage». Le champ d’action s’étend des côtes d’Afrique au Japon, en incluant Madagascar et les Mascareignes, les côtes de la mer Rouge, de Malabar et de Coromandel, le Bengale et la Chine. Si Bayonne et Le Havre ont été d’abord envisagés, le site de Port-Louis est retenu pour installer les infrastructures de l’entreprise coloniale. À proximité des ports militaires de Brest et de Rochefort, il est à l’abri des vents d’ouest et bénéficie d’un chenal protégé par la citadelle. L’enclos du port abritera les chantiers navals, les magasins de stockage, la corderie, la voilerie, la tonnellerie… Cartes, tableaux et maquettes de bateaux (le Soleil d’Orient, le premier vaisseau de la compagnie lancé en 1671) documentent cette première partie très historique. La seconde, dédiée au déroulement des expéditions, qui pouvaient durer jusqu’à vingt-six mois, est plus concrète. Plans en coupe de navires, instruments de navigation ou de médecine, gravures permettent de comprendre l’organisation des voyages et les conditions de la vie à bord. Très documentée, cette section a le mérite d’aborder sans détour la question de l’esclavage. Cent cinquante-deux expéditions de traite organisées par la Compagnie des Indes sont parties de Lorient, avec plus de cinquante-six mille esclaves africains déportés vers la Louisiane, Saint-Domingue et les Mascareignes. Les captifs étaient échangés contre des marchandises (textile, armes, objets de parure, alcools, etc.).
Rêve et exotisme
Après un court chapitre dédié au naufrage du Saint-Géran en 1744 à l’île d’Ambre , rendu célèbre par l’ouvrage Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, la suite du parcours s’ouvre davantage au rêve et à l’exotisme. Au gré d’une élégante scénographie, elle rend compte de l’activité des comptoirs de Pondichéry, Chandernagor, Pégu ou Canton. Apparaissent alors quelques-unes des plus belles créations asiatiques qui, vendues sous l’égide de la Compagnie des Indes, émerveillèrent les Européens pendant plus d’un siècle, jusqu’en 1792, date de la liquidation de la compagnie par décret de l’Assemblée nationale. Le voyage commence en Inde, par l’évocation d’un intérieur de Pondichéry, avec tissus, paravent et mobilier colonial. Entre 1719 et 1769, les trois quarts des cargaisons qui arrivent à Lorient concernent ce pays. Les négociants rapportent surtout des textiles. En témoigne un superbe ensemble de mousselines de coton, de palempores et d’indiennes aux mille et une couleurs. «C’est un aspect des collections que j’ai souhaité développer ces dernières années, car le textile indien a fait la richesse de la Compagnie des Indes», précise Brigitte Nicolas, qui mène une politique d’acquisition active, à laquelle s’ajoutent des dépôts d’institutions comme le musée du quai Branly ou le musée Guimet (avec une série de statuettes zoomorphes).
De Lorient à Paris
Si le Japon est relativement peu représenté dans les collections (quelques objets de dévotion, une armure de samouraï, des laques, des porcelaines d’Imari), la partie dédiée à la Chine est plus conséquente. Au XVIIIe siècle, les navires rapportent des soieries, du thé, du gingembre, des papiers peints, des éventails évoqués dans la petite mais magnifique exposition des fleurons de la collection Michel Maignan , et bien sûr, de la porcelaine. Les collections du musée comptent plus de quatre cents pièces à décor bleu et blanc, vert ou rose, ainsi que des émaux de Canton. Certaines de ces porcelaines chinoises sont présentées en septembre à Paris, dans le cadre du 12e parcours de la Céramique et des Arts du feu. Une vingtaine de galeries du Carré Rive Gauche ont choisi chacune un objet, qu’elles présentent le temps de la manifestation. Une jolie manière de donner davantage de visibilité à ce musée qui pourrait, dans les années à venir, prendre une nouvelle ampleur. «Avec mille huit cents œuvres et objets conservés, les salles et les réserves sont saturées. La citadelle de Port-Louis est propriété du ministère des Armées et nous la partageons avec le musée national de la Marine, qui n’entend pas nous céder davantage de place », indique Brigitte Nicolas. Propriétaire des collections, la ville de Lorient a lancé une étude et réfléchit à l’implantation d’un nouveau musée. Celui-ci pourrait être construit dans l’enclos du port, sur le site qui a vu naître la Compagnie des Indes, où se dressent encore quelques vestiges des infrastructures historiques, comme les deux moulins, la maison de l’Imprimeur et la tour d’observation. Reste à évaluer les coûts, pour vérifier la viabilité du projet. Affaire à suivre.