Depuis la nuit des temps, les savants de tous horizons ont tracé une route céleste pour ne pas se perdre sur la terre. Un parcours scintillant semé de pépites.
Le sujet est beau, laissons aux poètes les premiers mots, eux qui ont consacré quelques-uns de leurs vers à ces étoiles surgissant une à une des ténèbres pour guider les hommes. Tels Victor Hugo, Théodore de Banville ou encore Alphonse de Lamartine, qui a tracé ces mots : «Alors ces globes d’or, ces îles de lumière,/ Que cherche par instinct la rêveuse paupière,/ Jaillissent par milliers de l’ombre qui s’enfuit,/ Comme une poudre d’or sur les pas de la nuit.» Depuis l’Antiquité la plus profonde, les étoiles interrogent ; les civilisations anciennes les vénèrent à l’égal des dieux. Les premiers, les philosophes et les savants grecs, parlent d’astronomie et tentent de capter leurs mystères. L’univers fait sa révolution ! Le 21 juin, l’astre solaire monte au plus haut dans le ciel de l’hémisphère nord. C’est le solstice d’été. L’occasion de regarder à travers une lunette des objets au zénith sur le marché.
Le chemin des étoiles passe par l’Orient
Aristote (384-322 av. J.-C.) et Ptolémée (100-168) sont les premiers noms de l’astronomie. Deux figures incontournables, qui ont introduit des modèles que l’on sait aujourd’hui incorrects et dominé la pensée scientifique pendant près de deux millénaires. Reprenant les réflexions d’Aristote, Ptolémée a posé les bases du géocentrisme, soit l’idée que la Terre, située au centre de l’univers, est un objet immobile autour duquel se meuvent tous les autres objets célestes. Un système qui fut accepté jusqu’au XVIe siècle en Europe, jusqu’à l’heure de la révolution copernicienne. Dans le monde islamique, en revanche, d’importants progrès se produisent dès le IXe, qui continueront jusqu’au XIIe siècle. Un véritable âge d’or, rendu possible par la protection éclairée de deux califes de Bagdad de la dynastie des Abbassides, Al-Rashid et son fils Al-Mamun. De nombreux ouvrages sont publiés. Traduits en latin, à Tolède notamment, ils gagnent peu à peu le monde occidental, figé dans la superstition religieuse. Les plus beaux objets fabriqués durant cette période faste sont les astrolabes, dont l’invention remonterait au Grec Hipparque (vers 190-120 av. J.-C.). Muhammad Al-Fazari (mort en 796 ou en 806) est réputé avoir construit le premier. Un rarissime modèle du IXe siècle figurait dans les collections du musée de Bagdad ; il a été perdu lors du pillage de 2003, au cours duquel des milliers d’objets d’une valeur historique inestimable ont disparu ou ont été vandalisés. Ils ont heureusement été produits en nombre dans le vaste territoire conquis par l’Islam, allant jusqu’au Maroc et l’Espagne andalouse. L’objet fournit une projection de l’univers à plat, donnant la latitude exacte de l’endroit où l’on se trouve grâce à l’angle formé par l’horizon et un corps céleste. En plus d’être un instrument scientifique des plus efficaces, il est du plus bel effet esthétique. Deux qualités qui le portent au firmament des enchères. Le 2 février 2015, la maison Tessier - Sarrou & Associés présentait un exceptionnel astrolabe maghrébin du XIVe siècle, construit par un certain Muhammad Ibn Qâsim al-Qurtubi en l’an 719 de l’hégire, au mois de joumada, soit en mai 1319. 312 480 € s’accrochaient dans les fils ciselés de son araignée, le disque ajouré représentant le cercle écliptique et les vingt-trois étoiles principales. Ces dernières années, plusieurs autres modèles ont rayonné à Drouot, mais pas aussi hauts, car plus récents. La cote, stable, oscille autour de 50 000 € : 55 000 € le 26 mars 2012, chez Enchères Rive Gauche, pour un modèle créé au XIIIe mais remanié à des époques ultérieures, 47 000 € le 13 avril de la même année pour un astrolabe persan daté 1817-1818, chez Chayette & Cheval, et 75 000 € chez ces derniers encore, mais le 21 décembre 2016, pour une production du XVIe siècle, probablement marocaine, présentant la particularité d’inclure une boussole.
L’Europe a rendez-vous avec les étoiles
Du côté du monde dit «civilisé», les progrès se sont donc fait attendre… Pour enfin se réaliser avec le XVIe siècle. Il était temps ! Deux étoiles se lèvent dans le ciel immuable et s’élèvent contre le principe du géocentrisme : Nicolas Copernic (1473-1543) et Tycho Brahe (1546-1601), grand astronome danois. Grâce à leurs travaux, le ciel ne se limite plus à la Terre et aux planètes connues, mais s’étend vers des univers insoupçonnés peuplés d’étoiles scintillantes. Le doute s’installe, et le dogme d’Aristote s’effrite. Une édition allemande de 1648, titrée Opera omnia et regroupant les deux grands traités d’astronomie de Brahe (initialement parus en 1598), recueillait 23 560 € chez Binoche et Giquello le 26 février 2014. La voie est ouverte. Johannes Kepler (1571-1630), astronome allemand, et Willem Janszoon Blaeu (1571-1638), issu d’une famille de marchands amsteldamois, étudient auprès du maître danois dans son laboratoire d’Uraniborg, sur l’île de Hven, près de Copenhague. Le second deviendra l’un des plus grands artistes de la cartographie néerlandaise du XVIIe siècle. Ses globes finement coloriés et rehaussés à l’or vont servir à toute une génération de navigateurs prêts à affronter les rigueurs des océans pour découvrir la terra incognita, et en rapporter les merveilles. Une paire de globes céleste et terrestre de 23 cm - ils existent en quatre autres diamètres : 10, 13,5, 34 et 68 cm , tournait jusqu’à 232 610 € chez Pierre Bergé & Associés, le 8 juin 2016. Le nombre et la disposition des étoiles ont été élaborés à partir des observations de Brahe et complétés par une représentation des constellations de l’hémisphère austral découvertes par l’explorateur hollandais Frederick de Houtman. Sur le globe céleste figure pour la première fois la nova, étoile située dans la constellation boréale du Cygne et observée par Blaeu lui-même. Ces instruments à la pointe de l’actualité, enrichis année après année, sont complétés par des cartes regroupées dans des atlas, tel celui d’Andreas Cellarius (vers 1596-1665), imprimé entre 1660 et 1661. Un exemplaire de cet ouvrage, réputé être le chef-d’œuvre de la cartographie céleste du XVIIe siècle, se déployait à 164 696 € chez Ader le 13 décembre 2016. Les siècles suivants, n’auront plus qu’à embrasser les voies tracées avec génie et audace. De magnifiques sphères célestes sortiront des ateliers parisiens. Au XVIIIe siècle, la France devient leader dans cette spécialité jusque-là dominée par la Hollande, place qu’elle partage avec l’Italie. L’invention de la lunette astronomique, probablement par l’opticien hollandais Hans Lippershey (1570-1619), et son développement par Galilée (1564-1642) offrent une nouvelle dimension. Nommée «longue lunette à faire peur aux gens», elle fleurit et se perfectionne partout en Europe au cours des siècles suivants. La Lune révèle ses cratères, Jupiter ses satellites et Saturne, ses anneaux. Cette fois, la piste des étoiles est bien ouverte… et visiblement elle n’est pas près de se refermer.