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Sultan Sooud al Qassemi : promoteur de l’art arabe

Publié le , par Agathe Albi-Gervy

Cet Émirati porte la voix de son pays, tant par le biais de Tweets que de conférences. Il a aussi créé la Barjeel Art Foundation, dont la collection est présentée pour la première fois en France, à l’Institut du monde arabe.

   Sultan Sooud al Qassemi : promoteur de l’art arabe
  
© Barjeel Art Foundation

Comment votre collection a-t-elle vu le jour, en 2010 ?
J’ai acheté mon premier tableau en 2002. À l’époque, c’était les débuts des réseaux sociaux, et j’étais déjà très actif dans ce domaine. J’ai posté des photos de mon acquisition et on m’a bientôt demandé où elle pouvait être vue. Je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas ou très peu de lieux dédiés à l’art aux Émirats arabes unis. J’ai donc écrit une lettre au gouvernement, en 2008-2009, pour lui demander de me fournir un emplacement.
Pourquoi ce choix philanthropique ? La Sharjah Art Foundation aux Émirats et l’Arab Fund for Arts and Culture à Beyrouth existaient déjà…
La Sharjah Art Foundation est un projet gouvernemental. Or, nous avons besoin du plus grand nombre d’initiatives possible pour promouvoir l’art du monde arabe. Pas seulement dans les pays de l’ouest, croyez-moi. C’est pour cela qu’on a organisé des expositions à Alexandrie, au Koweit, en Jordanie. Nous devons être fiers de notre pays. À ma mort, cette collection deviendra un bien public. Je ne l’ai jamais traitée comme étant mienne.
Quelle est votre politique d’achat ?
Elle a beaucoup évolué depuis la naissance de la fondation. Initialement composée uniquement d’art contemporain, la collection est désormais en équilibre avec l’art moderne. Par ailleurs, elle comporte de plus en plus de femmes artistes.
Sur qui vous appuyez-vous pour vos acquisitions ?
Il y a six ans, nous étions deux. Aujourd’hui, je travaille avec les curateurs Karim Sultan et Mandy Merzaban, qui a étudié à Paris, et avec Suheyla Takesh, le curateur général. Je sollicite sans cesse leur avis, nous échangeons beaucoup nos points de vue. J’ai par ailleurs des relations très amicales avec de nombreuses galeries à Dubaï. Avant d’acheter, par exemple, une œuvre syrienne en Jordanie, je prends conseil auprès de galeristes et de collectionneurs. Une acquisition peut prendre une heure comme un an !
Comment choisissez-vous les artistes ? Vous ne semblez pas uniquement intéressé par ceux qui ont une cote importante…
C’est une question complexe. Une œuvre peut nous parler au premier coup d’œil, mais parfois, nous devons mener des recherches approfondies. Pour cela, je travaille souvent avec la Meem Gallery de Dubaï et son fondateur, mon ami Charles Pocock. Leur bibliothèque est la plus grande au monde dédiée aux arts du Moyen-Orient. Je m’y fie beaucoup.
Quelles foires fréquentez-vous ?
J’achète à Frieze London, à New York, mais aussi dans les ventes aux enchères parisiennes, londoniennes et américaines. On est agnostique quand il s’agit d’acheter ! Je suis également client d’Art Dubaï, et malheureusement pas autant que je le souhaiterais de Beirut Art Fair, à cause de la situation politique.

 

Faces, des artistes libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (nés en 1969). © Barjeel Art Foundation
Faces, des artistes libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (nés en 1969).
© Barjeel Art Foundation

Pourquoi collectionner à la fois de l’art moderne et contemporain ?
L’histoire arabe est en cours d’écriture, et les artistes comptent parmi les commentateurs des événements actuels. Je suis fasciné par l’histoire, en particulier celle du XXe siècle. Les racines de la situation présente sont à chercher dans les années 1940 et 1970. Vous verrez vous-mêmes que certaines œuvres, créées dans deux décennies différentes, par des artistes différents, ont une histoire commune. C’est ce que je souhaitais mettre en évidence.
Pour quelles raisons vous positionnez-vous uniquement sur l’art arabe ?
En parallèle de la fondation Barjeel, je poursuis une collection personnelle comprenant notamment des œuvres pakistanaises, américaines et iraniennes, donc plus internationales. Mais il est vrai qu’elles sont minoritaires. La barrière de la langue n’y est pas étrangère ; ne comprenant ni le farsi perse ni le pachto et encore moins l’ourdou, je ne peux pas approfondir mes recherches dans la connaissance ou la compréhension de ces arts, qui pourtant m’intéressent grandement.
Connaissez-vous personnellement certains des artistes que vous collectionnez ?
J’essaie en effet de les rencontrer le plus possible, je crois que c’est important. Mon premier tableau, je l’ai acheté car j’ai pu parler avec son auteur, que j’ai apprécié autant que mon acquisition. Il m’arrive aussi de préférer l’artiste à son œuvre, mais c’est un autre problème !
Parmi les artistes présentés, nombreux sont ceux qui travaillent avec une galerie française. Coïncidence ou volonté de votre part de garder un lien avec ce pays, auquel vous êtes particulièrement attaché ?
D’une part, la France et le monde arabe ont de très fortes relations. Certains artistes ont séjourné en France, le premier d’entre eux étant Georges Hanna Sabbagh, en 1906, suivi par d’autres intellectuels, tels Taha Hussein ou Nizar Qabbani. D’autre part, j’adore simplement Paris. C’est à mes yeux la plus belle ville du monde, et celle où je suis devenu qui je suis. Je ne choisis cependant pas les artistes parce qu’ils ont des relations avec la France, même si c’est une idée intéressante à explorer pour un projet futur !

 

Le Maraya Art Centre Al Qasba, à Sharjah. © Barjeel Art Foundation
Le Maraya Art Centre Al Qasba, à Sharjah.
© Barjeel Art Foundation

En France, les événements en faveur de l’art africain fleurissent, comme l’édition 2017 de Paris Art Fair et AKAA. Cette promotion se ferait-elle au détriment de l’art arabe ?
De nombreux pays arabes, comme les pays du Golfe, sont anglophones. Leurs rapports avec la France ne sont donc pas ceux qu’elle entretient avec certains pays d’Afrique. Mais le contexte actuel est en train de faire évoluer cette situation, dans les champs militaire, avec l’engagement de la France, académique, avec l’implantation de la Sorbonne à Abu Dhabi, et culturel avec l’antenne du Louvre. Le monde arabe de l’ouest fait des efforts en vue de renforcer ses liens avec la France. Il demeure sous-représenté dans les musées internationaux, et nous devons continuer à le promouvoir. Lorsque les dirigeants des pays en question ont des relations solides, comme du temps de Jacques Chirac et François Mitterrand, les choses évoluent plus vite. Je suis persuadé que l’ouverture du Louvre Abu Dhabi, dans quelques mois, apportera une émulation, grâce au recentrement sur la culture.
Collectionner, est-ce un moyen pour vous de compléter vos activités journalistiques, de promouvoir certaines idées politiques ? Les questionnements des artistes reflètent-ils les vôtres ?
Acheter une œuvre ne signifie pas que je suis d’accord avec son éventuel message politique, d’autant que j’appartiens à une minorité, même au sein du monde arabe, en parlant anglais et en ayant habité en Occident. Cela ne signifie pas que les idées autres que les miennes n’ont aucune valeur et qu’il ne faut pas les montrer. À la Fondation, nous agissons comme une collection publique. Donc, si je dois choisir entre une œuvre qui m’intéresse et une autre qui a une portée historique ou politique, je me prononcerais pour la seconde… Parler de politique est une nouvelle manière de regarder les événements du XXe siècle. L’art peut porter un message puissant, capable de construire des ponts entre les pays, et cela arrivera, n’en déplaise aux sceptiques. La censure des artistes au Moyen- Orient n’est pas un frein à cette visée. Ici, on ne peut pas voir ce que l’on veut, à la différence de l’Occident ; les artistes doivent être bien plus malins et cacher leurs messages en utilisant des métaphores…

SULTAN SOOUD AL QASSEMI
EN 5 DATES
1978     
Naissance à Sharjah, aux Émirats arabe unis
1993    
Rejoint Paris pour ses études de commerce, à l’Université américaine
2002    
Premier achat : une toile d’Abdul Qader Al Rais
2010 Inauguration de la fondation Barjeel
2014   Membre du MIT Media Lab, il est aussi nommé parmi les 100 Most Powerful Arabs.
À VOIR
«100 chefs-d’œuvre de l’art moderne et contemporain arabe - La collection Barjeel»
Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, place Mohammed-V, Paris Ve
Jusqu’au 2 juillet 2017.
www.imarabe.org
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