Nommé ambassadeur de Sidaction il y a 6 mois, Jean Paul Gaultier a assuré la direction artistique de cette vente organisée avec Drouot Estimations, en partenariat avec la Fédération de la Haute Couture et de la Mode et la maison de vente Christie’s. Elle se déroulera en ligne, sur le site de Drouot Digital.
Comment est venue l’idée de cette vente aux enchères au profit de Sidaction ?
Au départ était prévu le traditionnel Dîner de la mode, organisé en clôture des défilés haute couture, mais étant donné qu’il a été reporté à juillet 2021 pour cause de crise sanitaire et que les défilés ont quant à eux été annulés, nous avons imaginé cette vente pour permettre de collecter des fonds essentiels pour le Sidaction, qui soutient la recherche et la prévention. La lutte contre le sida est loin d’être achevée. Cette vente, qui est une espèce de téléachat de luxe, proposera une quarantaine de prestigieux lots : des pièces rares et des accessoires de haute couture, de couture, des objets uniques qu’on ne retrouve pas en boutique et des expériences inédites. Je me souviens avoir donné, dans un contexte proche, un corset de Madonna, ce sont des choses qui peuvent toucher et attirer des fans et des amateurs.
Pourriez-vous présenter quelques lots ?
Il y a quelques vêtements dont un manteau rouge AMI x Swarovski créé pour le défilé Ami à Shanghai en octobre 2019, qui est une pièce unique, jamais commercialisée, une robe vintage haute couture YSL, deux prototypes du premier défilé de Felipe Oliveira Baptista pour Kenzo, une robe rose en dentelle dessinée par Guillaume Henry pour Patou, une pièce unique d’archive accompagnée de son croquis d’origine. Il était intéressant de l’intégrer à la vente, tout particulièrement puisque Guillaume Henry est le nouveau directeur artistique de cette maison depuis deux ans, redynamisant cette belle endormie. Pour ma part, je donne une robe d’archive datant d'une dizaine d'années.
Sur les 40 lots de la vente, on compte 21 expériences. La dimension immatérielle est-elle plus attractive dans ce genre d’événement ?
Je pense que la plupart des gens qui ont de l’argent peuvent acheter aussi bien des robes de haute couture que des objets de luxe à tout moment. Il fallait donc insister sur le côté unique et proposer de véritables expériences auxquelles ils n’ont pas accès facilement. C’est une autre façon de les mobiliser et de leur permettre de faire un don pour le Sidaction. Line Renaud et moi-même proposons un déjeuner en tête à tête ! Parmi les lots, on trouve aussi la visite privée des réserves secrètes du musée Yves Saint Laurent et de l’exposition «Betty Catroux», celles des nouveaux salons couture et des archives de la maison Balenciaga ou de la collection Émile Hermès au 24, Faubourg-Saint-Honoré suivie d’un déjeuner sur la terrasse, mais aussi une nuit dans la suite Boucheron, place Vendôme...
Avec Christian Lacroix et Hedi Slimane, on est à la croisée du monde de l’art, du design et de la mode ?
Exactement, c’est là où cela se rejoint et où la dimension découverte est importante : Christian Lacroix offre une peinture, Hedi Slimane a créé une petite chaise unique en «plexi», très futuriste et magnifique, Rick Owens montre une chaise presque triangulaire,
à son image avant-gardiste... Autant de lots exceptionnels.
Les collectionneuses de robes de haute couture sont-elles nombreuses ?
Oui, il y en a quelques-unes, j’avais comme cliente Mouna Ayoub, par exemple. Elle achetait les vêtements en partie dans l’idée de créer à terme un petit musée personnel ; elle s’intéressait aux robes les plus créatives, un peu comme à des œuvres d’art. Il lui arrivait d’ailleurs de les porter peu, une fois, voire pas du tout.
Parmi vos initiatives, on peut noter les masques que vous avez créés…
Au départ, le magazine Gala avait demandé à plusieurs créateurs de concevoir des masques et j’ai relevé ce challenge avec mon studio. De mon côté, j’avais découpé le titre du magazine que j’avais associé à des collages, et pour un autre masque, j’avais placé des lèvres sur un motif de marinière. Comme ce dernier a particulièrement plu, j’ai pensé le produire en plus grande quantité et reverser les bénéfices au Sidaction. C’est une façon de faire le lien entre les deux !
Le monde de la mode est particulièrement associé à cette lutte contre le sida. Pierre Bergé a été longtemps le président de Sidaction et vous en êtes l’ambassadeur. Pensez-vous que cet univers est fédérateur pour toucher et mobiliser le grand public ?
Je ne sais pas s’il permet de sensibiliser plus qu’un autre domaine, mais il est normal que la mode soit un des acteurs actifs de cette lutte. Elle a une légitimité par le fait que beaucoup de créateurs et de gens de la mode ont été touchés par cette maladie, même si tout le monde est concerné. Pierre Bergé a soutenu cette cause dès le départ, il a créé Sidaction avec Line Renaud, qui représente le monde du spectacle, également très touché. Puis il en est devenu le président en 1996.
Comment envisagez-vous votre rôle d’ambassadeur ?
Je ne peux pas parler de toutes les avancées de la recherche sur le sida, je suis là pour approfondir cette brèche qui avait été ouverte par Pierre Bergé et Line Renaud, en tant qu’ambassadeur. Cette vente est un très bon exemple de mon action puisqu’il a fallu rebondir dès que l’idée des défilés a été abandonnée. Son organisation a été complexe, étant donné la situation générale. L’époque impose de s’adapter à un contexte qui évolue vite, comme la mode change en fonction de ce qui se passe dans la société et dans la vie. Tout début janvier, nous ne savions pas encore exactement quelle forme allait prendre ce «téléachat». On s’adapte. Mon rôle est de trouver des idées et des solutions pour sensibiliser le grand public et rappeler que le sida est toujours là. On continue de mettre des préservatifs, et tout le monde se protège !