Quel avenir attend Sotheby’s ? Personne n’en sait rien, à commencer par ses propres dirigeants, et peut-être pas même Patrick Drahi lui-même. En proposant de l’acquérir, l’espace d’une journée, il a fait connaître son nom à travers la planète. Seul le monde de l’art semble capable d’offrir un tel prestige à vitesse expresse à ses représentants. Au-delà de cet effet d’image, dont il pourrait se servir comme levier dans ses affaires outre-Atlantique, personne ne devine ses intentions. Il n’est pas vraiment collectionneur, ni même intéressé par l’art. Mais il a les moyens, puisqu’il propose de surpayer une entreprise qui avait perdu 40 % de sa valeur en une année. Ou, du moins, les banques ont-elles les moyens à sa place… Sans aller jusqu’à rappeler le précédent funèbre de la course folle de Vivendi, les médias américains ont surnommé l’entrepreneur helvético-franco-israélien «le roi de la dette» : il est difficile de savoir si cette couronne tient du compliment. Il aurait en outre à couvrir l’endettement de Sotheby’s qui a quintuplé depuis 2007, dépassant le milliard de dollars, dix fois son bénéfice net annuel, ce qui lui vaut une menace de dégradation de la notation de Moody’s. Si jamais il avait l’intention de persister, l’intéressé a promis de ne rien changer à la stratégie de l’entreprise ; le discours est tellement convenu qu’il en serait presque risible. Le précédent de SFR n’incite pas à l’optimisme. La société a connu le plus important plan de suppression d’emplois en France en 2018. Après la dégradation du service entraînée par sa restructuration (le département clients serait alors passé de 1 500 à 40 personnes), deux millions d’abonnés l’auraient quittée. Elle en a regagné le même nombre depuis, mais c’est pour une bonne part à coup d’opérations promotionnelles, qui pèsent sur les résultats. Si Patrick Drahi agissait de même dans la concurrence avec Christie’s, tout le monde en subirait les conséquences. Sotheby’s ne devrait pas manquer de subir quelques secousses.
Les défaillances ne sont pas rares au sein d’une entreprise qui a perdu ces dernières années plusieurs de ses éléments clés. Réduits à la spéculation sur son avenir proche, les commentateurs prédisent une aggravation de l’opacité du marché de l’art. Sortant de la Bourse, la maison de ventes ne serait plus en effet tenue de publier le détail d’un certain nombre d’informations financières. L’argument est discutable. Christie’s n’est pas cotée, elle ne se montre pas si avare en informations et il n’est pas si difficile pour les journalistes et les chercheurs d’avoir accès aux données essentielles. L’opacité du marché serait plutôt à chercher du côté des galeries et des courtiers, et, au sein de ces multinationales, dans les ventes privées et la part importante prise par les garanties, dont les combinaisons se déroulent en cercle fermé. En revanche, la nécessité d’en référer constamment à des actionnaires est un handicap pour les activités de Sotheby’s, qui ne dispose pas de la même souplesse opérationnelle que sa rivale. Dépendant des oscillations boursières, ses responsables sont aussi davantage pressés d’obtenir des résultats immédiats, en prenant parfois des risques inconsidérés. Ce n’est sans doute pas un hasard si son nom ressort dans les scandales les plus retentissants de ces dernières années. De ce point de vue, la sortie de la Bourse pourrait avoir des effets positifs sur une moralisation de l’entreprise. L’autre hypothèse, bien plausible, est que Patrick Drahi ait simplement tenté un coup, dans l’espoir de voir son offre être surpassée, lui permettant d’empocher une commission subséquente, sans avoir à hériter d’un bébé dont il ne saurait que faire (à l’image d’une garantie sur un tableau, en quelque sorte !). Auquel cas, Sotheby’s pourrait souffler un peu. En attendant de connaître le nom de son repreneur.