Près de trois cents ans après sa mort, 60 dessins de Massimiliano Soldani réapparaissent à Paris. Une «découverte miraculeuse», selon l’historien d’art Charles Avery, qui permet d’ajouter le substantif de dessinateur à celui de sculpteur.
Dans l’inventaire après décès de Massimiliano Soldani (1656-1740), dressé le 23 mars 1740, 610 dessins du sculpteur et médailleur, rangés dans huit classeurs, sont bien recensés dans son atelier florentin. Mais, malgré certaines tentatives timides et erronées, notamment en 1962 et 1976, aucun historien de l’art n’était jusqu’alors parvenu à identifier la main de Soldani. Les sources étaient relativement limitées, puisque la seule mention par l’artiste d’une feuille autographe apparaît dans une longue lettre, adressée en mai 1695 au prince de Liechtenstein, à laquelle il joignit deux dessins d’urnes réalisés par l’un de ses assistants, «n’ayant pas le temps de faire ce genre de choses moi-même». Le présent portefeuille a longtemps été conservé par les descendants des Siries, une famille française de médailleurs, directeurs de l’Opificio delle pietre dure (manufacture de mosaïques de pierres dures) à Florence de père en fils entre le milieu du XVIIIe et le milieu du XIXe siècle, expliquant ainsi l’état exceptionnel des dessins. Les feuilles ne portaient aucune inscription, mais cinq compositions sont clairement liées à des œuvres connues du sculpteur. La première concerne le revers d’une médaille frappée pour le cardinal Fabio Chigi en 1680, trois autres étant en relation avec une série de quatre vases en marbre noir et bronze, commandée en 1689 par le prince Ferdinand II de Médicis (Florence, palais Pitti). Ces vases ont amené l’historien d’art britannique Charles Avery à confirmer l’attribution du groupe à Soldani, tandis qu’au même moment le spécialiste en dessins anciens Nicolas Schwed trouvait une autre clé pour faire le lien avec l’artiste : un dessin préparatoire pour le reliquaire de sainte Lydwine de Schiedam, en forme de fleurs de lys épanouies, conservé dans la ville de Scandicci.
Le jeu des rivalités
Le corpus retrace la quasi-totalité de la carrière de Soldani dans les années 1680 et 1690. Ce fils de capitano delle Corazze (capitaine de la cavalerie du Grand-Duc) originaire de Montevarchi, arrivé à Florence en 1675 pour étudier les arts sous Volterrano, fut envoyé par Cosme III (1642-1723) à Rome pour se perfectionner sous la direction du sculpteur Ercole Ferrata et du peintre Ciro Ferri, mais aussi auprès du médailleur Gioacchino Francesco Travani. Dans cette ville, il obtint les faveurs de Christine de Suède, pour laquelle il réalisa un premier ensemble de médailles. Après un court séjour à Paris en 1682, il fut rappelé par le grand-duc à Florence, où il entra au service des Médicis, tout en travaillant pour les princes étrangers notamment Johann Adam de Liechtenstein, à Vienne. Plus tard, à la mort de ses protecteurs Ferdinand II et Liechtenstein, l’artiste se consacra au marché britannique : les milordi, de passage à Florence pendant leur Grand Tour, et les collectionneurs anglais, férus des créations florentines. Le grand-duc Cosme III jouait de la rivalité entre les sculpteurs Giovanni Battista Foggini, Giovacchino Fortini, Giuseppe Piamontini et Massimiliano Soldani. Ce dernier était de tous les chantiers et bénéficiait d’une relation privilégiée avec le prince héritier Ferdinand, qui, explique Charles Avery, «l’aimait tendrement, échangeant avec lui, selon une source ancienne, des plaisanteries de façon très familière et ayant l’habitude de passer du temps dans son bel atelier aussi longtemps qu’il vécut. Le grand prince ne survécut en effet pas à son père et disparut en 1713». Plusieurs feuilles témoignent des travaux que Soldani réalisa pour son mécène : deux dessins pour un projet de plat à l’occasion de ses noces avec Violante Béatrice de Bavière, en 1689, ou un projet (h. 80 cm) de candélabre en argent commandé en 1692 pour la cathédrale de Livourne. L’artiste travailla tant pour la mère du grand-duc que pour sa grande rivale, son épouse, les deux femmes se vouant une haine tenace. Vittoria della Rovere, veuve de Ferdinand II, avait apporté dans sa corbeille de mariage en 1634 les duchés de Rovere et de Montefeltro, d’où la présence dans une composition particulièrement sophistiquée des six boules des Médicis, devenues les fruits des armes parlantes des della Rovere le chêne , le tout surmonté par la couronne de la dynastie. Dans le cartouche, au chiffre de Marguerite Louise d’Orléans, cousine de Louis XIV, les fleurs de lys françaises sont empalées au centre du blason. Excédée par l’influence prépondérante de sa belle-mère sur son époux, celle-ci quitta Florence en 1675 pour ne jamais y revenir. Elle mourut en France en 1721, ayant laissé à Vittoria le soin d’élever ses trois enfants, Ferdinando, Gian Gastone, le dernier grand-duc de Toscane, et Anna Maria Luisa, la dernière des Médicis.
Portée d’une découverte
Parmi les études préparatoires aux décors de vases, plusieurs rendent compte de l’esprit bouillonnant du sculpteur. Le modèle présentant deux satyres, soulevant malicieusement une draperie couvrant une scène licencieuse, annonce déjà une paire de vases en bronze datée de 1721, et conservée au Victoria & Albert Museum de Londres. Sur la feuille, Soldani joue avec les effets des draperies qu’il imagine et donne vie, en quelques coups de crayon, à des personnages assez pétillants. Détail cocasse, il met bien en avant l’érection du satyre pressé d’attraper une nymphe affalée, le tout sous les yeux de l’Amour. La découverte du fonds permet aussi à Charles Avery de documenter un chapitre inédit des activités de l’artiste, pour la décoration des galères de l’ordre militaire de Santo Stefano, créé en 1561 pour combattre les Ottomans et les pirates dans la Méditerranée. Si certains dessins sont relativement techniques, notamment au revers, d’autres, tels les Deux modèles de supports avec un putto contenant un lion et un dragon marin avec un putto, montrent le raffinement des détails sculptés en bois des galères de Florence, aujourd’hui disparues. Charles Avery ne boude pas son plaisir face à cette découverte qu’il qualifie de «miraculeuse» dans le domaine des arts décoratifs florentins : «Il faut bien garder à l’esprit que cet ensemble représente seulement un dixième des feuilles mentionnées dans l’inventaire après décès de Soldani, mais la diversité des sujets traités est stupéfiante. Ces dessins montrent que son œuvre a été trop longtemps sous-estimé.» Jusqu’à aujourd’hui, il est vrai que l’histoire de l’art avait surtout retenu ses activités de maître de la Monnaie de Florence, ses petites sculptures en bronze et quelques modèles en terre cuite aux sujets mythologiques et religieux, tels que L’Agonie dans le jardin des Oliviers (Metropolitan Museum de New York). Or, insiste l’historien d’art, «nous ne pouvions juger de l’imagination et de la versatilité de Soldani au début de sa carrière uniquement par les deux paires de vases en marbre noir du palais Pitti, récemment identifiés. Nous pouvons donc ajouter des projets pour une douzaine de vases et d’urnes en pierre, en bronze et en argent. C’est une grande avancée dans la connaissance de cet artiste. Ces dessins modifient même sensiblement la perception générale de la manière toscane dans le domaine des arts décoratifs dans ce qui est encore qualifié, à tort, de «crépuscule» des Médicis».