Arrivé à la tête du musée en 2017, ce Romain, qui a étudié à Paris et travaillé au Louvre Abu Dhabi, s’est lancé dans un vaste chantier de réaménagement et de modernisation d’un lieu délaissé depuis des années.
Quelle place occupe la Pilotta dans le paysage muséal italien ?
Historiquement, c’est l’un des plus importants de la péninsule, mais aussi d’Europe. On doit sa naissance, vers 1580, à la puissante famille Farnèse, qui a pris comme modèle les musées du Vatican ou encore la Galerie des Offices de Florence, les plus importantes collections de la Renaissance, à l’origine des musées modernes. Comme à Rome ou à Florence, l’intention à Parme était de rassembler de manière encyclopédique le savoir de l’époque, avec une bibliothèque, des collections archéologiques, des tableaux… mais aussi un théâtre pour enseigner les grands drames de l’histoire. À lui seul, le théâtre Farnèse, édifié pour la cour des ducs de Parme, concède à la Pilotta le rang d’exemple archétypal de cette époque pionnière pour les musées modernes, que représentèrent les XVIe et XVIIe siècles. Au XIXe siècle, trois institutions différentes y ont été créées : un musée archéologique, une galerie nationale des beaux-arts et la bibliothèque Palatine, qui compte environ un million de volumes, dont de nombreux livres et manuscrits rares. Dans les années 1960, le musée Bodoni a été ouvert pour exposer les collections du célèbre typographe, qui avait son atelier au sein de la Pilotta. Depuis mon arrivée en 2017, le complexe muséal a retrouvé son unité administrative, et mon objectif a été de renouer les fils rompus entre ces différentes collections, sans négliger leur complexité et leurs stratifications.
Comment avez-vous concrètement mené votre programme de rénovation et de réforme du musée ?
Il faut déjà rappeler que les bâtiments et les collections, comme c’est le cas pour de nombreux musées italiens avant la réforme qui leur a octroyé une plus grande autonomie en 2016, versaient dans un état de délabrement avancé. Le réaménagement des salles et la restauration des œuvres ont été menés de pair avec une reconstitution historique du fil logique des collections. Un chantier immense, avec le réaménagement de 20 000 m2 au sein du musée, la création d’une salle sur l’histoire des collections, l’inauguration d’une quinzaine de nouvelles salles, la numérisation de l’intégralité du catalogue de peintures, la restauration d’une centaine d’œuvres. Mais nous sommes tournés également vers l’avenir, avec une relance de la recherche scientifique, l’inauguration dans la cour d’honneur de la plus grande installation d’art contemporain en Italie signée Maurizio Nannucci, ainsi qu’une attention stricte à l’économie d’énergie avec de nouveaux éclairages et une meilleure isolation des toitures.
Le nombre d’expositions a-t-il également augmenté ?
Oui, nous en avons inauguré une dizaine en cinq ans, dont la plus importante reste celle dédiée à la collection Farnèse, qui s’est tenue l’an dernier lorsque Parme a été désignée capitale italienne de la culture. Elle a été organisée avec la collaboration de l’ambassade de France à Rome et a innové en abordant, pour la première fois en Italie, le thème du collectionnisme de la Renaissance, sous l’angle de l’histoire globale. Mais nous considérons que chaque aménagement des salles du musée constitue une exposition qui doit tenir compte des dernières découvertes scientifiques ou de l’évolution des débats artistiques. C’est ainsi que nous avons repris la conception anglo-saxonne de musée du Smithsonian de Washington et mise en œuvre par Alfred Barr au sein du premier MoMA, à New York.
Comment envisagez-vous le rapport de la Pilotta avec le public ?
En Italie, la Pilotta a longtemps été snobée par les directeurs de musées qui avaient conservé l’idée que les collections publiques, largement héritières de celles des maisons princières d’avant l’unification de la péninsule, conservaient des reliques du pouvoir de familles très anciennes. Dans le discours public et dans l’imaginaire collectif, nous continuons à considérer les musées comme des lieux abritant des objets précieux, capables de produire un émerveillement de nature presque divine. Au sein de ce complexe monumental, nous avons décidé d’ouvrir une section sur l’histoire des collections pour exposer aux visiteurs les mécanismes historiques et politiques à l’origine des commandes des œuvres et de leur accumulation. L’un des thèmes fondamentaux que nous abordons est aussi celui du multiculturalisme des nouveaux citoyens italiens, qui ne se sentent pas nécessairement représentés par des collections de type occidental ou européen, et le risque d’accusation de « néocolonialisme culturel » que cela pourrait induire. Pour traiter ce nœud essentiel de nos sociétés contemporaines qui doit constituer l’une des priorités de notre recherche scientifique, nous avons adopté les méthodologies de l’histoire globale, mais nous avons également lancé des ateliers de médiation avec les étudiants et les élèves des écoles de Parme, aux origines multi-ethniques. Ainsi une jeune fille marocaine observant Le Couronnement de la Vierge du Corrège a-t-elle été sensible au thème de la lumière, qui est au cœur de l’une des sourates les plus denses du Coran. De là, nous avons retracé les origines orientales, à la fois byzantines et islamiques, de cet aspect dans un mini-guide de visite.
Quel concept de musée a inspiré votre travail de refondation de la Pilotta ?
Non seulement celui de musée participatif, mais aussi de musée militant, qui participe activement à l’émancipation culturelle et civile de la société. La clé de notre travail a été et demeure l’histoire de nos collections. Elles balaient un arc temporel qui va de l’archéologie à l’art moderne, avec un très riche cabinet de dessins et d’estampes, mais surtout des chefs-d’œuvre de Parmigianino, Corrège, Vinci, Canova, Doyen, Bellotto, Canaletto, Murillo, Ribera, Zoffany, Vigée Le Brun, les Carracci, Van Dyck… ce ne sont pas juste des toiles mais le produit de règles culturelles spécifiques qui stimulent notre capacité d’émulation. Si nous abandonnons leur compréhension, cela risque d’entraver notre créativité et notre liberté. Seule l’histoire de nos collections, en nous faisant prendre conscience des processus qui ont conduit à l’élaboration des valeurs esthétiques que nous partageons, transforme le musée en un véritable instrument d’émancipation et, in fine, de démocratie.