Le défi est périlleux : parler du silence relève de l’oxymore. L’aborder en peinture peut rapidement confiner au truisme, tant ce médium est considéré depuis l’Antiquité comme une «poésie muette». En conjuguant le mot au pluriel, le musée Rath esquive les écueils et propose un parcours intelligent où prime la relecture de l’histoire de l’art. Grâce à une sélection subjective mais équilibrée d’œuvres du XVe siècle à nos jours, les grands thèmes de la peinture, de l’amour à la mort, de la foi à la vie quotidienne, s’apprécient autrement. Les scènes de genre hollandaises de Jan Miense Molenaer (1610-1668) riment avec quiétude et harmonie domestique. La pesante atmosphère mutique des «Intimités», xylographies signées Félix Vallotton (1865-1925), parlent des non-dits du couple, tandis que les vanités et autres natures mortes rappellent combien le silence est d’abord un levier d’introspection et de méditation sur l’existence. Mieux, la portée du discours se fait atemporelle avec la juste juxtaposition des toiles de Pieter Claesz (1597-1661) ou de Sébastien Stoskopff (1597-1657) avec les compositions photographiées de Mat Collishaw (né en 1966). Si la fin du parcours, cataloguant des paysages et intérieurs de moindre qualité, pêche par un manque d’approfondissement, l’épaisseur historique et sémantique suffit à une visite aussi intelligente que méditative. Deux ans après une réflexion sur le rôle du musée du XXIe siècle, celui d’art et d’histoire de Genève, dont dépend le Rath, prolonge d’une autre manière ces questionnements sur sa mutation entre temple silencieux de la contemplation et lieu de débat et de vie.