Marcel Duchamp assurera le spectacle lors d’une vente toulousaine où de rares Rotoreliefs seront présentés. Gros plan sur un artiste visionnaire.
Le mouvement est au cœur du travail de Marcel Duchamp. Dès ses toutes premières toiles de 1911 –Jeune Homme triste dans un train ou le célèbre Nu descendant un escalier n° 1 –, il aborde les thèmes de la décomposition du mouvement, avant même les futuristes italiens. La technique de la chronophotographie, inventée en 1878 par Eadweard Muybridge, l’interpelle également. Baigné depuis son enfance dans une atmosphère très artistique, avec une mère musicienne et des frères et sœurs qui tous deviendront peintres et sculpteurs, le génial touche-à-tout fit exploser les barrières entre les disciplines. Si cet artiste protéiforme débute sa carrière en autodidacte et sous le signe de la peinture impressionniste, il se tourne rapidement vers la mécanique. Rappelons la création de sa mythique Mariée mise à nu par ses célibataires, même, l’œuvre d’une vie, entreprise en 1913, abandonnée puis reprise en 1936.
Parmi ses «machines à fonctionnement symbolique» figureront aussi ses premiers ready-made, détournant des objets de leur fonction première afin de pousser le spectateur à la réflexion, tels le moulin à café de 1911 ou la célèbre roue de bicyclette montée sur un tabouret, deux ans plus tard. En 1920 naissent les machines Rotative plaques de verre ou Rotative demi-sphère. Mais c’est grâce au cinéma qu’il expérimentera au mieux ces inventions. En 1926, en compagnie de ses compères Man Ray et Marc Allégret, il tourne Anemic Cinéma sous le pseudonyme de Rrose Sélavy, double féminin de Marcel Duchamp mais aussi jeu phonétique sexuel («Eros, c’est la vie») et pied de nez à l’actualité en choisissant un nom juif. Ce personnage expert en optique de précision serait à l’origine de ses recherches sur le mouvement circulaire et la démultiplication des dimensions. Les rotatives furent immortalisées dans ce film sous la forme de disques en carton sur lesquels sont dessinés des motifs graphiques. Placés sur la plaque tournante d’un phonographe en mouvement de 33 tours minute, elles donnent l’illusion de la troisième dimension, un monde entre jeux d’optique et abstraction géométrique. Mais cette réalisation de 7 minutes restera très confidentielle, et Marcel Duchamp décide de se confronter au grand public en 1935 en déposant un brevet au Tribunal de commerce, le 9 mai, pour ses Rotoreliefs. La présentation au concours Lépine au mois d’août suivant est un échec commercial, mais pas artistique. Ils inspireront les générations suivantes d’artistes, dont Pol Bury et Victor Vasarely. Nos six disques appartiennent à la première édition des Rotoreliefs, non signée ni numérotée, tirée à 500 exemplaires dont les trois quarts auraient été détruits durant la guerre. Imprimés sur les deux faces en lithographie offset en couleurs, ils présentent sur chacune un titre (Corolles, Œuf à la coque ou Poisson japonais…), un numéro d’ordre et l’indication «modèle déposé». Dans un très bel état de conservation, encore accompagnés de leur étui d’origine en plastique noir imprimé «ROTORELIEF/11 RUE LARREY PARIS V», ils proviennent de plus, par descendance, de la collection particulière du célèbre architecte art déco, André Mare (1885-1932). Marcel Duchamp lui avait fait là un précieux cadeau !