Si le siècle d’or de la peinture espagnole est régulièrement accroché aux cimaises des musées français, on ne peut pas en dire autant des œuvres de la seconde moitié du XIXe. Aussi, ne boudons pas notre plaisir devant ce panneau acquis par le docteur Amoëdo directement auprès de l’artiste, le 30 juillet 1907, et demeuré dans sa famille. Il a été publié à plusieurs reprises et exposé, notamment au Salon à Paris en 1903 et à la Biennale de Venise en 1905. Installé dans la capitale française en 1894, après avoir quitté Barcelone sa ville natale, Anglada-Camarasa fréquente les académies Julian et Colarossi et, comme Degas et Toulouse-Lautrec, fait des sujets nocturnes et des intérieurs ses thèmes de prédilection avant de se rallier à la Sécession viennoise de Gustav Klimt, auquel il emprunte ses grands aplats et le bel effet décoratif. L’une de ses œuvres les plus célèbres est un grand Portrait de Sonia Klamery de 1913, conservé au musée de la Reine Sofia à Madrid. Le nôtre s’en différencie non seulement par son époque et par son sujet la vie parisienne , mais surtout par sa palette intense et lumineuse. Au cours de la dernière décennie du XIXe, un groupe d’artistes catalans qui commençaient leur carrière se forme sous le nom de La Colla del Saffra («groupe du safran»), en référence à la prédominance des ocres et des jaunes dans leurs compositions. Ces jeunes gens Joaquim Mir, Joaquím Sunyer, Ricard Canals i Llambi, Isidore Nonell et Hermenegildo Anglada-Camarassa veulent fuir les canons esthétiques des beaux-arts de Barcelone. Nos apprentis rebelles ont quitté l’école ou l’atelier pour le plein air : les rues de la ville, sa vie quotidienne, la campagne environnante baignée de soleil. C’est à Paris, avec des scènes du Moulin-Rouge ou du Casino de Paris, que notre artiste commence sa carrière publique. Ses formes stylisées, sa pâte colorée lui valent, dès les années 1900, une renommée internationale. Il expose en Europe, inspire un certain Picasso, est apprécié de Kandinsky. La bataille promet d’être rude dans quelques jours parmi les enchérisseurs…