L’un des plus grands peintres français du XVIIIe aura bientôt les honneurs de l’actualité. Et c’est tout près de Toulouse qu’il faudra se rendre pour redécouvrir l’une de ses peintures de jeunesse.
Le chasseur a disposé près de sa gibecière et de son fusil l’unique trophée de sa partie de chasse : un colvert au plumage soyeux ; surgit sur la gauche un jeune chien barbet, peut-être celui-là même qui a rapporté le volatile. Le thème, animalier, est de ceux qu’on apprécie en ce début du XVIIIe siècle, décliné des dizaines de fois par Oudry ou Desportes. Pourtant, l’auteur de cette scène frémissante de vie n’est autre que Jean Baptiste Siméon Chardin. Quant à la date précise d’exécution de l’œuvre, le jeune artiste l’avait inscrite sous la crosse de l’arme mais, hélas, les deux derniers chiffres ont disparu… Pour resituer dans son contexte la toile, l’une des rares du peintre à représenter une créature vivante, il convient de s’appuyer sur des compositions semblables. La première est sans aucun doute le célèbre Buffet, de 1728, exposé au musée du Louvre, où un chien lorgne des pyramides de victuailles. Puis, on mettra en regard le très proche Chien barbet (Paris, collection particulière, autrefois dans la collection Polo), peint en 1730. Sans oublier le Chat guettant une perdrix et un lièvre morts jetés près d’un pot à oille, que l’on peut aujourd’hui admirer au Metropolitan Museum de New York ; bien que non daté, il est donné sans hésitation aux années 1728-1730. Notre scène prend place dans cette période charnière, ce que confirme la notice du catalogue Chardin, rédigé par Pierre Rosenberg et Renaud Temperini en 1999, et où elle apparaît sous le numéro 44.
Chardin à la croisée des chemins
Le 25 septembre 1728, Chardin a été agréé et reçu à l’Académie royale de peinture et sculpture, comme artiste «dans le talent des animaux et des fruits». Ce qui signifie, en clair, qu’il peint des natures mortes, composées de gibier, de poissons et de fruits. Cependant, l’aube des années 1730 voit poindre de nouvelles envies, comme celle, évidente, d’introduire de la vie dans ses compositions statiques, ainsi que l’atteste notre Chien barbet. Il modifie aussi ses compositions, en adoptant des cadrages plus rigoureux. Ce faisant, il abandonne l’usage de ces entablements placés en biais, qui structurent, par exemple, le Lapin mort avec une perdrix rouge et une bigarade du musée de la Chasse et de la Nature, à Paris. D’intenses recherches formelles qui aboutissent à une nouvelle production, celle de tableautins représentant les ustensiles de cuisine les plus modestes, avec, pour la première fois dans l’histoire de la peinture française, l’absence de tout esprit d’anecdote. Cependant, le critique et grand collectionneur Pierre-Jean Mariette rappelle dans son Abecedario de 1749 que Chardin, toujours en quête de public, «craignit, et peut-être avec raison, que, ne peignant que des objets inanimés et peu intéressants, on ne se lassât bientôt de ses productions». Aussi se tournera-t-il bientôt vers la scène de genre, dont les acteurs méditatifs et silencieux n’affichent que trop ce qu’ils doivent à son art consommé de la nature morte.