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Sarah Bernhardt, indomptable sur scène comme aux enchères

Publié le , par Anne Doridou-Heim

Avec la Divine, la légende flirte avec la réalité et la fascination opère toujours cent ans après sa mort. Aux enchères comme ailleurs. 

Alfons Mucha (1860-1939), Sarah Bernhardt, American Tour, 1896, chromolithographie,...  Sarah Bernhardt, indomptable sur scène comme aux enchères
Alfons Mucha (1860-1939), Sarah Bernhardt, American Tour, 1896, chromolithographie, 199 76 cm (détail). Paris, salle Favart, 24 mai 2022. Ader OVV. M. Weill.  Adjugé : 14 080 

Femme plurielle n’ayant eu de cesse de repousser les limites des possibles, Sarah Bernhardt est unique. Peut-être est-ce parce que son magnifique portrait par Georges Clairin y trône en icône, mais elle semble chez elle au Petit Palais, le musée parisien qui lui consacre une exposition infiniment méritée et magistralement mise en scène à l’occasion du centenaire de sa mort. Le titre colle parfaitement à cette personnalité hors norme : «Et la femme créa la star.» Combien faudrait-il aujourd’hui d’actrices – ou d’influenceuses – pour faire une seule Sarah ? Il est difficile de répondre à cette question, tant elle est la femme de tous les superlatifs… N’est-ce pas pour elle que Jean Cocteau a inventé le terme de «monstre sacré» ? Actrice, artiste, mère, amie, amante, directrice de théâtre, écrivaine, voyageuse, féministe, femme engagée, elle a tout mené de front, et avec succès. Ses œuvres sont peu fréquentes sur le marché mais, en revanche, les souvenirs d’une vie menée tambour battant regorgent et séduisent toujours autant. S’il est impossible d’en faire le tour, en voici tout de même un petit aperçu. «Et quelle façon elle a d’être légendaire et moderne !» s’exclamait, admiratif, son ami l’écrivain Edmond Rostand. À sa mort à 79 ans le 26 mars 1923, l’actrice est depuis longtemps une «star», objet d’un engouement planétaire. À la fin du parcours de l’exposition, un film d’époque montre ses funérailles et la circulation de son corbillard dans les rues d’un Paris habillé de noir pour la circonstance. Les trottoirs de la capitale sont remplis d’une foule qui n’aurait rien à envier à celle des obsèques de Johnny Hallyday.
 

Ensemble de documents, lettres photographies, dessins, programmes et contrats concernant Sarah Bernhardt, provenant des archives de Victor
Ensemble de documents, lettres photographies, dessins, programmes et contrats concernant Sarah Bernhardt, provenant des archives de Victor Ullmann, administrateur du Théâtre Sarah-Bernhardt. Hôtel Drouot, 16 novembre 2018. Drouot Estimations OVV. M. Oterelo.
Adjugé : 35 100 

Divine parmi le grand monde
Et pourtant, on ne peut pas dire que les sirènes de la félicité se soient posées sur son berceau… Lorsqu’elle «monte» à Paris à la fin des années 1850, c’est pour rejoindre sa mère et sa tante, qui sont des courtisanes et la mettent aussitôt au travail. Finalement, cette situation lui ouvrira les portes du Conservatoire, le duc de Morny, demi-frère de Napoléon III, ayant l’idée de l’y faire entrer. Après quelques essais sur les planches, elle triomphe en 1872 sur la scène du Théâtre de l’Odéon, dans le rôle de la reine du Ruy Blas de Victor Hugo. Sa carrière est lancée. «Mademoiselle Révolte», au caractère bien trempé, enchaîne les succès ; son talent comme ses frasques alimentent régulièrement la presse populaire. En 1880, après avoir accepté un rôle dans une pièce médiocre – L’Aventurière, d’Émile Augier –, elle quitte avec éclat le Français, écrivant dans sa lettre de démission : «C’est mon premier échec à la Comédie-Française. Ce sera le dernier.» De fait, les grands rôles s’enchaînent. Tragédienne hors pair, sa voix d’or ensorcelle, ses costumes de scène fascinent, sa capacité à jouer en travestie aussi, sans parler de ses scènes d’agonie ! Les représentations se jouent à guichet fermé. Son répertoire court de Shakespeare à Dumas fils (et son interprétation magistrale de La Dame aux camélias), en passant par Racine, Victor Hugo, sans oublier Victorien Sardou, qui avec Théodora et Tosca, lui offre des rôles sur mesure et le triomphe. Le monde la réclame. En 1880-1881, elle part aux États-Unis pour une tournée de sept mois à bord d’un train Pullman spécialement aménagé pour elle et donne pas moins de 156 représentations. Elle rentre en France couronnée de gloire et couverte de dollars.
 

Félix Nadar (1820-1910), Sarah Bernhardt à 17 ans, vers 1861, épreuve sur papier salé d’après négatif verre au collodion, 21,8 x 16,3 cm (
Félix Nadar (1820-1910), Sarah Bernhardt à 17 ans, vers 1861, épreuve sur papier salé d’après négatif verre au collodion, 21,8 x 16,3 cm (détail). Paris, salle Favart, 3 juillet 2020. Ader OVV. M. Romand. Adjugé : 2 560 €

Une voix et une plume d’or
Cette «voix d’or» (Victor Hugo) était dotée aussi d’un joli trait de plume, ce que dévoilent à la fois ses Mémoires. Ma double vie, imprimées à Paris chez Fasquelle en 1907 (dont un exemplaire adjugé 313 € par Audap & Associés OVV, le 24 juin 2022), et de nombreux échanges épistolaires. Dans une lettre adressée à son ami et admirateur le critique Robert de Montesquiou, rédigée sur papier à en-tête imprimé à son monogramme – et à sa devise : «Quand même» –, elle écrit : «Vous n’ignorez pas toutes les petites lâchetés et infamies que j’ai dû subir depuis l’arrivée de la Duse. Ayant eu mon apothéose on désirait m’enterrer.» (1 950 €, Fontainebleau, Osenat, 25 octobre 2022). Tant de célébrité n’allait hélas pas sans jalousie ni virulente critique : un portrait à charge, à l’encre noire et rehauts de gouache blanche, de l’acteur Jean Mounet-Sully (1841-1916), qui fut son partenaire à la scène comme à la ville, était vendu 576 € chez Tessier & Sarrou et Associés le 24 janvier 2023. Les photos de la Divine ne sont pas rares et sont vendues à partir de quelques centaines d’euros. Le même jour et chez le même opérateur, l’une de celles-ci, où elle apparaît dans le rôle de Jacasse, du drame Les Bouffons, joué en 1910 sous la direction d’Henri Manuel, a été adjugée à 102 €. 600 € ont été atteints, chez Elsa Marie-Saint Germain le 19 décembre 2022, pour un cliché de Nadar où on la voit dans son intérieur vers 1890, et 704 € (Ader, 13 mars 2023) pour un tirage dédicacé à Sacha Guitry. Il en va de même pour les affiches de théâtre : 773 € (Collin du Bocage, 12 décembre 2022) étaient déposés pour celle de Manuel Orazi (1860-1934), la montrant en compagnie de Victorien Sardou dans Théodora, au théâtre de la Porte Saint-Martin. Mais c’est surtout le maître Alfons Mucha qui l’immortalise dans ses grands rôles des années 1890-1900. Là, les prix grimpent ! Une chromolithographie, éditée à l’occasion de son «American Tour» de 1896, recevait 14 080 €, chez Ader, le 24 mai 2022, le même hommage revenant à celle de La Samaritaine, imprimée chez Champenois.


un chiffre
2 138
C’est le nombre de références à Sarah Bernhardt
dans les ventes passées sur le site de la Gazette.

Louise Abbéma (1853-1927), Portrait de Sarah Bernhardt, 1921, huile sur toile, 38 x 45,5 cm. Neuilly, 1er décembre 2022. Aguttes OVV. Adju
Louise Abbéma (1853-1927), Portrait de Sarah Bernhardt, 1921, huile sur toile, 38 45,5 cm. Neuilly, 1er décembre 2022. Aguttes OVV.
Adjugé : 1 828 
Jean Rivière (1853-1924), école toulousaine, Théodora, sculpture en fonte d’aluminium à double patine argent et or, 78 x 54,5 x 15 cm. Bor
Jean Rivière (1853-1924), école toulousaine, Théodora, sculpture en fonte d’aluminium à double patine argent et or, 78 54,5 15 cm. Bordeaux, 25 février 2023. Briscadieu OVV. Adjugé : 6 250 
Sarah Bernhardt (1862-1923), Algues (Laminaires), 1900, dague-sculpture, pièce unique en bronze à patine dorée et nuancée, fonte à la cire
Sarah Bernhardt (1862-1923), Algues (Laminaires), 1900, dague-sculpture, pièce unique en bronze à patine dorée et nuancée, fonte à la cire perdue réalisée par Siot Decauville, l. 50 cm. Hôtel Drouot, 5 décembre 2014. Ader OVV. M. Eyraud. Adjugé : 37 500 

Une artiste parmi les artistes
«L’Art est la plus belle expression de l’Idéal ! en quelques heures, il vous donne les souffrances et les joies, les espérances et les déceptions ! en quelques années la Gloire puis quand arrive l’Oubli, l’Art vous enveloppe de ses ailes et vous transporte au pays des souvenirs», écrivait Sarah. Elle vit entourée d’artistes, Alfred Stevens, Gustave Doré ou Jules Bastien-Lepage notamment, et noue une amitié particulière avec Louise Abbéma et Georges Clairin. Au Salon de 1876, tous deux accrochent un portrait de Sarah ; celui la représentant dans un somptueux déshabillé blanc mettant en valeur sa silhouette sinueuse est devenu la «Joconde» du Petit Palais. La relation avec Louise Abbéma est évoquée par une réduction autographe du tableau, conservé au musée d’Orsay, montrant la tragédienne à Belle-Ile (1 828 € Aguttes, Neuilly, 1
er décembre 2022). Après le succès de Théodora, Jean Rivière, sculpteur toulousain, s’empare de ce personnage pour en faire ce qu’il appellera en 1891, lors de l’Exposition de l’Union artistique, un «médaillon florentin», en écho à ses grands aînés. Un exemplaire en fonte d’aluminium à double patine argent et or partait à 6 250 € à Bordeaux, le 25 février dernier chez Briscadieu OVV. L’orfèvre Lucien Gaillard (1861-1942) imagine orner un pommeau de canne en argent du visage de l’actrice dans le rôle-titre de L’Aiglon, vers 1890 (885 €, Lucien Paris, Drouot, 5 avril 2022). Paul-François Berthoud (1870-1939) utilise ses traits altiers pour décorer un porte-parapluie en bronze, présenté au Salon de 1902 (6 400 € pour un modèle à Saint-Cloud, chez Le Floc’h, le 28 juin 2020). Et tant d’autres… la Divine ne laisse pas de marbre.
 

Collier du chien de Sarah Bernhardt en métal argenté gravé « Quand même / Melle S. Bernhardt / 41 Anue de Villiers », h. 7 cm.Hôtel Drouot
Collier du chien de Sarah Bernhardt en métal argenté gravé « Quand même / Melle S. Bernhardt / 41 Anue de Villiers », h. cm. Hôtel Drouot, Paris, 18 octobre 2022. Daguerre OVV. M. Derouineau. Adjugé : 5 850 

Le théâtre de la vie
Son goût pour l’étrange, voire le morbide, associe Sarah Bernhardt au milieu symboliste de la fin du siècle et la conduit à vivre dans un intérieur pour le moins foisonnant et bizarre, animé de fauves et de chauves-souris. On a souvent disserté sur sa manie de dormir dans un cercueil égyptien de sa collection. À force de fréquenter des artistes, elle se met à peindre et à sculpter elle-même et, pour le second médium, avec un talent certain. Ses œuvres sont exposées dans le spectaculaire atelier-salon qu’elle fait aménager afin que le Tout-Paris vienne les admirer. Outre des portraits d’amis, des autoportraits – celui en chimère pour un encrier en bronze est peut-être le plus connu (un exemplaire recevait 97 000 € et un record mondial en avril 2018 sous le marteau de Drouot Estimations) –, d’étranges bronzes aux patines nuancées naissent, ceux-ci après son acquisition d’un fortin à Belle-Ile. Inspirée par la flore et la faune marines, elle moule directement sur des poissons et des algues des créations qui remporteront un vrai succès lors de l’Exposition universelle de 1900. Elles y seront présentées au sein de la vitrine «Algues Poissons». Ces dernières sont rares sur le marché, car elle en a peu fait et ce sont des pièces uniques. Il faut remonter à 2014 pour trouver une algue à Drouot (Chez Ader - 37 500 €), une dague que l’artiste avait offerte à René Lalique. Alors qu’un critique étroit d’esprit fustigeait ses multiples activités, Émile Zola, aux côtés duquel elle s’était rangée au moment de l’affaire Dreyfus, prit sa défense par voie de presse et, avec la verve qu’on lui connaît, s’écria : «Qu’on fasse une loi tout de suite pour empêcher le cumul des talents 

Sarah Bernhardt (1862-1923), Autoportrait en chimère, encrier, épreuve en bronze ciselé à patine brune, datée 1880, cachet de fondeur «Thi
Sarah Bernhardt (1862-1923), Autoportrait en chimère, encrier, épreuve en bronze ciselé à patine brune, datée 1880, cachet de fondeur «Thiébaut frères – Fondeurs – Paris», 30 30,5 34 cm. Hôtel Drouot, 20 avril 2018. Drouot Estimations OVV. Cabinet Chanoit. Adjugé : 97 200 
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