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Saint Sébastien

Publié le , par Dimitri Joannides

Martyr romain du IVe siècle, il est souvent représenté dans les arts, attaché à un poteau, le corps transpercé de flèches.

Entourage de Carlo Saraceni (1579-1620), Saint Sébastien, huile sur toile, 50 x 38,5 cm.Paris... Saint Sébastien
Entourage de Carlo Saraceni (1579-1620), Saint Sébastien, huile sur toile, 50 x 38,5 cm.
Paris Drouot, 15 octobre 2008. Beaussant Lefevre SVV. M. Auguier.
26 737 € frais compris

Nommé commandant de la garde prétorienne par l’empereur Dioclétien, dont il aurait pu être accessoirement l’amant, Sébastien est un chrétien, ce que beaucoup de Romains ignorent. En prosélyte efficace, il encourage dans leur foi et pousse au martyre deux prisonniers, les frères Marc et Marcellin, alors que leur famille les implorait de renoncer au Christ. Plus impressionnant encore, en rendant miraculeusement la parole à une femme muette, il convertit soixante-dix-sept personnes d’un coup ! Il va même jusqu’à guérir Chromatius, le gouverneur de Rome, atteint de la goutte, baptise toute sa famille, dont son fils Tiburce et mille quarante esclaves qu’il affranchit dans la foulée. En apprenant ces faits, Dioclétien, grand persécuteur antichrétien qui lui avait pourtant fait confiance à de nombreuses reprises, accuse Sébastien de traîtrise et ordonne à ses soldats de l’exécuter en le transperçant de flèches. Selon la légende, les archers, qui tenaient leur chef en haute estime, auraient évité de viser le cœur. Sébastien ne succombera pas à ses blessures. Soigné par Irène, jeune veuve également, abondamment représentée en peinture, Sébastien se rétablit rapidement. Une fois sur pied, il va courageusement reprocher à Dioclétien sa cruauté à l’égard des chrétiens. L’empereur le fait alors rouer de coups jusqu’à la mort et exige qu’il soit jeté dans les égouts de Rome, interdisant tout rite funéraire. Les chrétiens retrouvent cependant son corps et l’inhument auprès des ossements des apôtres Pierre et Paul, faisant de Sébastien le troisième saint patron de Rome. Et pourtant, dans l’imaginaire collectif, son martyre par sagittation s’est imposé progressivement jusqu’à faire oublier qu’il est mort sous des coups de bâton.

Saint Sébastien en bois sculpté, XVIIe ou XVIIIe siècle.Paris, Hôtel Dassault, 14 avril 2010. Artcurial SVV. M. Montagut. 1 275 € frais compris
Saint Sébastien en bois sculpté, XVIIe ou XVIIIe siècle.
Paris, Hôtel Dassault, 14 avril 2010. Artcurial SVV. M. Montagut.
1 275 € frais compris
Marcel Delmotte (1901-1984), Saint Sébastien, huile sur toile (190 x 115,5 cm), 1936. Paris Drouot, 19 juin 2009. Aguttes SVV. M. Coissard.48 867 € fr
Marcel Delmotte (1901-1984), Saint Sébastien, huile sur toile (190 x 115,5 cm), 1936.
Paris Drouot, 19 juin 2009. Aguttes SVV. M. Coissard.
48 867 € frais compris


 
Un patron des archers à l’image ambiguë Saint Sébastien comme saint Georges appartiennent à cette petite famille des saints militaires, martyrs des premières églises chrétiennes, dont le culte débute au IVe siècle. Néanmoins, il faut attendre la fin du Moyen Âge et la Renaissance pour voir la légende de saint Sébastien prendre l’une des premières places dans le cœur des croyants. Selon les pays, Sébastien est non seulement le saint patron des soldats en général et des fantassins en particulier, mais encore celui des athlètes, des archers et même des officiers de police ! Invoqué depuis plusieurs siècles pour lutter contre la peste, il joue un rôle de protecteur contre les épidémies en général. Et, en ces temps lointains dépourvus de médecine et d’hygiène avancée, qui dit épidémie dit mort quasi certaine… C’est donc tout naturellement que Sébastien s’est mis à occuper une place primordiale dans l’esprit populaire médiéval, a fortiori après la peste noire. Incredibile dictu, la communauté homosexuelle considère saint Sébastien comme son saint patron, à l’instar d’un Apollon ressurgi de l’Antiquité grecque. Dans l’art, saint Sébastien est représenté à l’origine, sous les traits d’un homme d’âge mûr. Mais dès le XIIIe siècle, au gré de leurs inspirations, certains peintres et sculpteurs lui donnent un type juvénile, qui triomphe au XVe siècle. En Occident, on se plaît à représenter ce beau jeune saint presque dénudé, opportunité rare que n’offraient jusque-là que les représentations du Christ. Une poignée de siècles plus tard, Oscar Wilde en fait une description sans ambiguïté : «Un superbe garçon brun, aux lèvres croustillantes et aux cheveux en grappe, lié par ses maudits ennemis à un arbre et, bien que percé de flèches, levant ses yeux divins avec passion vers la beauté éternelle du paradis qui s’ouvre à lui.» Au XVIIe siècle, on se met à peindre une autre scène, déjà présente dans quelques prédelles du XVe siècle, celle où le corps moribond de saint Sébastien est soigné par sainte Irène. Rappelons que les vocations féminines augmentent à cette époque. Mais il n’est pas impossible qu’il s’agisse là d’une tentative délibérée de l’Église d’affranchir une nudité qui aurait pu, durant une messe par trop ennuyeuse, susciter aux pieuses fidèles des pensées inappropriées…
Des artistes comme Georges de La Tour l’ont traitée comme une scène nocturne de clair-obscur, illuminée par une seule bougie, une torche ou une lanterne, dans le style qui était alors en vogue dans la première moitié du XVIIe siècle.

Le Martyre de saint Sébastien, icône à fond d’or, 27,5 x 22 cm. Art grec, XVIIIe siècle. Château de Cheverny, 6 juin 2010. Rouillac SVV, M. Roudillon.
Le Martyre de saint Sébastien, icône à fond d’or, 27,5 x 22 cm. Art grec, XVIIIe siècle.
Château de Cheverny, 6 juin 2010. Rouillac SVV, M. Roudillon.
660 € frais compris

Un modèle éternel
Comment expliquer une telle richesse iconographique ? Sébastien ne fut pourtant pas le seul à avoir connu le martyre des flèches. Saint Edmond, sainte Christine, sainte Ursule ou encore sainte Irène l’ont subi sans toutefois devenir l’enjeu d’une pareille récupération ! Un siècle et demi à deux siècles après avoir été laissé plus ou moins boudé par les artistes, la figure du saint fait un retour triomphal au milieu du XIXe siècle, jusqu’à occuper une position centrale dans les œuvres d’Odilon Redon ou Gustave Moreau. Elle va même jusqu’à inspirer des compositeurs comme Debussy qui donne en 1911, au théâtre du Châtelet, un Martyre de saint Sébastien, une superproduction dramatique de cinq heures, commandée par la ballerine Ida Rubinstein. Avant la première, jugeant le spectacle probablement trop obscène, l’archevêque de Paris menaça d’excommunication tout catholique assistant à la représentation ! Parmi de nombreux passages sûrement déconcertants pour des fidèles fervents, l’exclamation suivante, lancée par Sébastien à ses bourreaux, avait dû être de trop : «Archers, si jamais vous m’aimâtes, que votre amour je le connaisse encore. Je vous le dis : celui qui plus profondément me blesse, plus profondément m’aime...» Le soldat Sébastien gagne en popularité encore à l’approche de la Première Guerre mondiale grâce à des poètes et des écrivains comme Cocteau, Mishima, Kafka, Rilke ou Thomas Mann, lequel, dans sa nouvelle Mort à Venise publiée en 1912, salue en lui l’emblème suprême de la beauté apollonienne. Intercesseur compréhensif susceptible de plaider la cause des adeptes de Sodome pour certains, saint récupéré par les communautés pour d’autres, Sébastien demeure un mystère crypté qui n’aura jamais laissé indifférent, ni les chrétiens, ni les laïcs, ni même les athées. Ainsi naissent et fleurissent parfois des légendes qui entourent des personnages marquants de notre histoire. Contre leur gré, en l’occurrence.
 

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