Sous la Renaissance, les secrets italiens de la soie se dispersent et la France en devient la première bénéficiaire. Grâce aux mesures protectionnistes et au soutien royal, son industrie soyeuse atteindra son acmé au XVIIIe siècle.
Au XVIe siècle, les Valois savent l’enjeu capital que représentent les fabriques de soie du royaume et ne ménagent pas les extravagances vestimentaires pour les solliciter. La production alors balbutiante ne peut cependant satisfaire pareille demande. Après les guerres de religion – éreintantes aussi pour les arts –, l’agronome Olivier de Serres poursuit, à la demande d’Henri IV, l’introduction de la soie partout où elle peut prendre, à commencer par le jardin des Tuileries. Mais celle-ci va se plaire davantage en Provence et dans les Cévennes, où la sériciculture bénéficie tant à Lyon et Tours que le cardinal de Richelieu ne cache pas sa satisfaction de voir la soie française égaler en qualité celle d’Italie. Ce succès doit beaucoup à Claude Dangon, inventeur en 1620 du métier «à la grande tire», permettant de tisser les plus belles pièces façonnées jusqu’au début du XIXe siècle. Ce système est composé de fines cordes verticales et horizontales nommées «lacs», qu’il faut tirer – d’où le nom du métier – afin de tisser les motifs sur le fil de chaîne. À l’instar des nœuds d’une tapisserie, plus le nombre de lacs est élevé, plus le résultat sera raffiné. Le temps de maîtriser cet outil et Colbert crée, dans les années 1660, un cadre propice au développement des savoir-faire, dont la soie française va bénéficier. La Grande Fabrique voit le jour à Lyon et mobilise, comme à Tours, des milliers de métiers à tisser. On produit à Nîmes de beaux rubans et à Paris, la manufacture royale de Saint-Maur-des-Fossés – bien que peu longtemps active – se montre remarquable. À sa tête, Mathurin Charlier est chargé de tisser des dessins de la main de Berain, dont les motifs sont partout en vogue. La renommée grandissante de la soie française exige de bons artisans, mais la révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV fragilise bêtement le projet colbertien, poussant à l’exil un vivier de talents n’ayant pas le goût du catholicisme. Nos voisins ne manquent pas de les accueillir et Spitalfields, un quartier londonien, devient en un rien de temps un sérieux concurrent. C’est une gifle économique : l’export et les capitaux sont brutalement diminués. L’ameublement et l’apparition de l’habit «à la française», dans les années 1680, accaparent quasiment à eux seuls la production d’unis et de façonnés de Lyon et Tours. Les deuils qui émaillent la cour au début du XVIIIe siècle frappent aussi les manufactures… Le règne de Louis XV saura faire oublier ces épreuves. Le tournant du XVIIIe siècle est difficile. Entre 1695 et 1710 apparaissent des soieries aux motifs abstraits et sans proportion, curiosités plus tard qualifiées de «bizarres», et souvent exportées. De 1699 à 1730, nulle commande n’émane du Garde-Meuble, et celles des aristocrates privilégient les soyeux lyonnais. L’hégémonie de la capitale des Gaules ne sera bientôt plus contestée : entre 1720 et 1760, quatorze mille métiers y produisent sans relâche des étoffes dont la largeur est généralement de 54 centimètres. Des lisières permettent de distinguer au premier coup d’œil les différentes qualités de tissu. Les fabricants désireux de satisfaire les caprices de la mode envoient leurs dessinateurs se former à Paris, pour répondre rapidement aux demandes de motifs rocaille ou de chinoiseries, avant qu’en 1756 une école de dessin n’ouvre ses portes à Lyon. Parallèlement se développe un style floral débarrassé de l’influence italienne. Les motifs naturalistes en bouquet s’organisent d’abord horizontalement, avant de se redresser définitivement entre 1745 et 1760. Selon les goûts du temps, ils sont ponctués d’architectures, d’attributs des arts, de rubans ou de plumes. Le «chiné à la branche», une impression partielle sur fil de chaîne, est proposé dans les années 1740 et donne un motif aux contours hachurés et flous, très apprécié pour le vêtement comme pour l’ameublement. Dans ce domaine, le velours d’Amiens, aux motifs gaufrés au cylindre de cuivre, est l’un des rares mais très sérieux concurrents de la soie lyonnaise à partir de 1765.
Nouveaux métiers
La profusion des motifs et des étoffes de soie fait naître la profession de dessinateur-ornemaniste, au fait des spécificités techniques du métier. Comme en peinture, de grands noms se distinguent. Jean Revel invente un enchevêtrement de fils de différentes nuances permettant de créer un sfumato. En 1777, Philippe de Lasalle, admirable peintre de la nature humaine et animale, présente avec succès le portrait tissé de Catherine II. Il réalise ensuite celui de Louis XV et d’autres nobles personnages, toujours dans un même médaillon d’encadrement. Jean Pillement s’inspire quant à lui des laques et porcelaines de Chine, tandis que Jean-Démosthène Dugourc n’a d’yeux que pour les antiquités romaines, introduisant de délicats ornements étrusques à la fin du siècle. Ce désir de finesse touche aussi les rayures verticales apparues dans les années 1760. Étonnamment, la robe suit la mode textile et non l’inverse : l’étoffe prime sur la forme. C’est aussi le cas dans l’ameublement. Aux damas rouges, aux velours jardinière ciselés de simple, double ou triple corps – entendez «couleurs» – succède ainsi une contexture mêlant le floral au néoclassique, avec notamment le «meuble Gaudin», un satin orné de couronnes triomphales, d’abord destiné à Marie-Antoinette mais finalement offert au regard de Joséphine à Fontainebleau. Déjà, des bouleversements se profilent. Si les innovations de Vaucanson, l’inspecteur général des manufactures de soie, ont été rejetées en 1744 par les tisseurs lyonnais, le métier Jacquard, encore plus perfectionné, menace un art de la soie virtuose et désiré dans le monde entier. La tentation de l’industrialisation nuira-t-elle au savoir-faire ? Le XIXe siècle nous le dira.