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S comme soie, médiévale et Renaissance

Publié le , par Marielle Brie

Dès l’Antiquité, les routes de la soie serpentent entre Orient et Occident, transportant avec elles le tissu et ses secrets jalousement gardés. Plus de mille ans séparent sa découverte des premières productions en France.

Fin XVe-début XVIe siècle. Assomption et couronnement de la Vierge, fragment d’orfroi,... S comme soie, médiévale et Renaissance
Fin XVe-début XVIe siècle. Assomption et couronnement de la Vierge, fragment d’orfroi, brocatelle de soie et fils d’or, 41,6 x 23 cm. © RMN - Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Michel Urtado

Les merveilleuses soieries contées par les Mille et une nuits trament le décor d’un Orient réel et vaste, principal acteur du commerce du luxe depuis l’Antiquité jusqu’au tournant de l’an mil. Pourtant, c’est d’abord la soie chinoise que l’on façonne dans les ateliers sassanides, et c’est elle qui essaime majoritairement à travers les empires romain et byzantin. Il faut, semble-t-il, attendre le VIe siècle pour que l’élevage de la chenille du Bombyx mori s’implante dans le bassin méditerranéen. De ce haut Moyen Âge, on ne connaît que de rares fragments précieusement conservés, tel le suaire dit de saint Germain, orné d’aigles jaunes sur fond pourpre – certainement une pièce byzantine –, se trouvant à l’église Saint-Eusèbe d’Auxerre. S’ensuit la conquête arabe, qui diffuse encore davantage le précieux fil et contribue remarquablement au développement des unis et des façonnés. La production de Damas au XIIe siècle baptise même celle dite «damassée», dont les motifs brillent sur un fond mat. Après un long voyage, la culture de la soie accoste finalement aux portes de l’Occident médiéval.
L’hégémonie italienne
Au X
e siècle, une partie de l’Espagne et la Sicile sont arabes et connaissent les secrets de la soie depuis au moins le VIIIe siècle. Palerme puis Almeria façonnent des soieries luxueuses aux influences orientales : animaux et créatures, adossés ou affrontés, et cercles ornementaux tissent les principaux motifs. L’évêque d’Orléans Théodulfe (755-820) a ainsi laissé à la postérité une soixantaine d’étoffes d’Orient et d’Occident, dont il se servait pour protéger les enluminures de sa bible, conservée en Notre-Dame du Puy-en-Velay. Certaines présentent des techniques virtuoses que les tisserands du XIXe siècle s’imagineront avoir inventées ! L’invasion normande de la Sicile en 1061 puis les tragiques Vêpres siciliennes, en 1282, bousculent la production soyeuse. Nombre d’artisans s’exilent progressivement en Italie, un exode qui bénéficie à la Toscane, et à Lucques en particulier. Certes, le développement de la sériciculture en cette région concurrence Venise et Gênes, qui importent des productions orientales, mais il conforte aussi le monopole italien sur la diffusion de la soie en Europe : privilège qui ne sera pas inquiété durant trois siècles. Les chefs-d’œuvre de la Renaissance ne manquent d’ailleurs pas une occasion de le rappeler, car si les soieries sont d’abord destinées aux ornements liturgiques (voir Gazette 2022 n° 37, page 197), la profusion transalpine drape à l’envi les puissants, qui se font ainsi portraiturer. Les pièces diaprées de Lucques, dont les motifs ressortent ton sur ton – le plus souvent en blanc ou en vert –, et les larges compositions organisées autour d’un chardon ou d’une grenade stylisée sont d’un luxe inouï. Imitation de la fourrure «velue», le velours est lui-même particulièrement convoité : l’alto-basso, à deux hauteurs de poils, puis au XVIe siècle le velours ferronnerie, inspiré des rinceaux sculptés, suscitent l’admiration. Dans ce domaine, le fossé entre l’Italie et les autres royaumes est tel que Charles VIII (1483-1498) ne cache pas sa surprise lorsqu’il est accueilli à Lucques par seigneurs et habitants, «lesquels, par rareté singulière, estoient la pluspart vêtus et habillez de fins draps d’or et de velours» (Archives curieuses de l’histoire de France, tome 1, page 219). Feu Louis XI (1461-1483), père de Charles, aurait trouvé dans cette aventure un argument supplémentaire à sa politique somptuaire et industrielle, lui qui donna l’impulsion au développement de la soie dans le royaume. Déjà au XIIIe siècle, elle se travaille en Provence — en Avignon — et à Paris, mais trop peu. En 1466, Lyon semble tout indiquée pour accueillir une manufacture royale, elle qui est déjà la place commerciale de la soie en France. La réticence des négociants dont la fortune tient aux importations italiennes va pourtant faire capoter le royal projet. Louis XI jette donc son dévolu sur Tours en 1469, un atout de plus pour la ville, en passe d’être couronnée capitale des arts. Des tisserands lucquois y apportent leur savoir-faire, et la sériciculture s’installe durablement sur ce territoire où l’on produit velours, satins et brocatelles (combinaison de lin et de soie), un taffetas lourd et solide, le gros de Tours, et des damas aux motifs italianisants. En juin 1520, le camp du Drap d’or fait entrer la soierie tourangelle dans l’histoire. Ce sont quatre cents pavillons de soie, d’or et d’argent qui sont tissés ou décorés à Tours. Le fabuleux camp est même planté d’un «arbre de l’honneur» en soie, entremêlant le framboisier de François Ier et l’aubépine d’Henri VIII. En filigrane, on devine l’effervescence des artisans gravitant autour de ces ouvrages : les passementiers, brodeurs et rubaniers.
Naissance d'un monopole

Le succès tourangeau nargue Lyon, qui consent finalement à l’installation d’ateliers de tissage indépendants en 1536. Sage décision : quatre ans plus tard, elle obtient le monopole sur l’importation des soies grèges (brutes) mais tisse presque uniquement des pièces unies (taffetas, velours, satin), car les imports de façonnés des négociants tiennent toujours le haut du pavé. Quant à Tours, son âge d’or prend fin dans les années 1550. Les guerres de religion affaiblissent un temps la production française, et l’opposition des deux camps touche aussi au vêtement. Dans les hautes sphères, les protestants préfèrent le modeste à l’ostentatoire, quand la pompe catholique ne jure que par la soie. Ce n’est que la suite logique des fastueux présents diplomatiques venus d’Orient aux siècles précédents. Les seigneurs en font autant et les premiers bas de soie français furent, dit-on, portés par Henri II (1536-1559). Au siècle suivant, la volonté d’hégémonie artistique du Roi-Soleil, le costume «à la française» et le protectionnisme colbertien alimentent cet apparat éclatant et posent les jalons d’une soierie nationale ambitieuse, qui prendra bientôt sa revanche sur l’Italie.

à voir
Les soieries médiévales conservées au musée de Cluny à Paris
et celles constituant une partie du trésor de la cathédrale de Sens.
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