Provenant de la chapelle Saint-Jean-Baptiste de Saint-Denis, cet admirable morceau de marbre appartient à l’ancien tombeau de Charles V. Une rareté, tout simplement.
Le petit monde des médiévistes est en ébullition et, croyez-le, il y a de quoi ! Lors de la prochaine vente organisée par Emmanuel Prunier à Louviers – qui fête ses dix ans de ventes Haute Époque –, sera dispersé un fragment de l’ancien tombeau du roi de France Charles V, dit le Sage. Ce monarque cultivé, créateur d’un État moderne, régna sur la France de 1364 à 1380. Pour mesurer l’effervescence que suscite une telle exhumation, sachez que l’on ne possède presque rien – ou si peu – du royal tombeau conservé dans l’abbatiale Saint-Denis, sépulture des rois de France, jusqu’en 1793 et le décret révolutionnaire de destruction. Les Arts décoratifs de Paris conservent néanmoins un culot orné de feuillages, le musée du Louvre, deux fragments d’arcatures ainsi que le gisant du roi, oeuvre d’André Beauneveu, sauvé des flammes iconoclastes par celui que d’aucuns voient comme l’archange des monuments français, Alexandre Lenoir. Le gisant de la reine Jeanne de Bourbon, qui reposait aux côtés de son époux, a pour sa part disparu, tout comme la plupart des éléments du décor, attribué par l’historien d’art Pierre Pradel à Jean de Liège, autre grand sculpteur du XIVe siècle. L’ensemble, dans sa disposition originale, nous est cependant connu grâce à une aquarelle de Roger de Gaignières. Ce savant médiéviste, passionné d’histoire et d’iconographie, eut la bonne idée de dresser un état du patrimoine monumental de la France à la fin du règne de Louis XIV. L’Histoire peut l’en remercier. Sur la prétendue exactitude des dessins réalisés par ce brillant contemporain de la marquise de Sévigné, une thèse soutenue par Clotilde Romet à l’école des Chartes en 2007 confirme leur souci d’exactitude, pour les tombeaux tout au moins. Si l’on regarde donc attentivement le dessin de Gaignières, conservé à la bibliothèque nationale de France, on se fait une belle idée des fastes déployés par les Valois pour leurs sépultures. On sait par ailleurs que ces rois fort actifs avaient une certaine idée du luxe et du confort. Le château de Vincennes, grand-oeuvre de Charles V, avec son intérieur lambrissé richement décoré et meublé, n’a alors rien à envier au Westminster des Anglais... Et cela malgré un climat social et politique des plus belliqueux : jacquerie, guerre de Cent-Ans. Ce contexte ne devait en rien altérer les projets du roi Charles V de proclamer, par le biais des arts, la magnificence royale. Bien au contraire, outre les décors du Louvre il décide de faire édifier, selon la coutume funéraire de division des corps chère au XIVe siècle, trois sépultures – pour le coeur, les entrailles et le corps –, l’une à la cathédrale de Bourges, la deuxième à l’abbatiale cistercienne de Maubuisson et la dernière, à Saint-Denis. Ce qui nous mène à nouveau à notre sépulture dessinée par Gaignières, deux gisants en marbre blanc reposant sur une plaque de marbre noir. Surmontés de dais finement sculptés soutenant les épitaphes, ils sont entourés de montants de marbre blanc ornés de niches, dans lesquelles s’abritent évêques, diacres et enfants de choeur. L’ensemble est du plus bel effet, dans sa pompe endeuillée. Notre fragment, récemment exhumé d’une collection particulière française, se rapproche de celui du Louvre orné d’une figure d’évêque, elle aussi décapitée. Même disposition, même décoration architecturale, même finesse de sculpture. On avance là aussi le nom de Jean de Liège, ce génial émissaire d’un art courtois si recherché.
Les collectionneurs en frissonnent déjà ; quant aux musées, ils pourraient bien être sur les rangs...