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Rétrospective Wayne Thiebaud à la Fondation Beyeler

Publié le , par Anna Aznaour

À Bâle, la Fondation Beyeler consacre une rétrospective à l’icône du pop art américain, méconnue de ce côté de l’Atlantique. Une véritable découverte.

Wayne Thiebaud, Eating Figures (Quick Snack), 1963, huile sur toile, 181,6 x 120,7 cm,... Rétrospective Wayne Thiebaud à la Fondation Beyeler
Wayne Thiebaud, Eating Figures (Quick Snack), 1963, huile sur toile, 181,6 120,7 cm, collection privée. 
Courtesy Acquavella Galleries. © Wayne Thiebaud Foundation/2022, ProLitteris, Zurich 

Mieux vaut tard que jamais. Un an après sa disparition, ce descendant de Français, né à Mesa – ville fondée par des mormons en Arizona – fait, enfin, sa grande entrée en Europe : seules deux expositions, à Bologne en 2011 et aux Pays-Bas en 2018, lui avaient été consacrées sur le vieux continent. Tandis qu’aux États-Unis, sa toile Quatre Flippers de 1962 avait atteint la somme record de 19 millions de dollars. Pourtant, l’artiste qui, quelques mois plus tard, fêtait ses cent ans, n’en fit pas grand bruit. Une discrétion qui ne semblait guère l’affecter. Et pour cause, cet infatigable travailleur à l’esprit et à la mémoire intacts jusqu’à son dernier souffle avait mieux à faire : « Je m’efforce d’assouvir mon obsession presque névrotique : essayer d’apprendre à peindre », avait-il confié peu avant son décès, le 25 décembre 2021.

De prime abord, les soixante-cinq œuvres figuratives de cet ex-illustrateur des Studios Walt Disney ne suscitent pas nécessairement l’émerveillement. La panoplie reconnaissable de la culture americana, typiquement étatsunienne, imprègne l’ensemble de ses toiles. Elles mettent en scène bonbons, machines à sous, poupées, personnages, mêlent paysages, natures mortes et parts de gâteaux. Ces derniers vont d’ailleurs devenir, dès les années 
1960, la marque de fabrique du peintre. Qui avouera plus tard : « Beaucoup avaient déjà peint des gâteaux, mais jamais des parts coupées. » L’occasion donc pour lui de se démarquer. Et, afin d’asseoir son style, de s’inspirer de… Chardin, le maître des scènes ordinaires, sublimées grâce à une maîtrise artistique exceptionnelle. Thiebaud empruntera à l’illustre Français son approche de la construction géométrique, basée sur des figures de base : rectangle, ellipse, cercle et triangle. « L’accrochage des neuf salles n’est pas chronologique. Il s’agit plutôt d’un assemblage thématique des sujets les plus représentatifs du travail de Wayne Thiebaud », avertit Ulf Küster, commissaire de l’exposition. En authentique visionnaire, l’Américain use d’illusions d’optique pour illustrer, non sans ironie, l’évolution de nos mœurs et modes de vie. Des changements auxquels il a lui-même activement contribué jusqu’à ses 40 ans, en tant que dessinateur et illustrateur publicitaire. Avait-il saisi, dans les années 1960 déjà, l’impact de la télévision sur nos habitudes de lecture et la dépersonnalisation galopante de la société ? Le tableau Betty Jean Thiebaud and Book (1965) frappe par l’ennui de la jeune femme face à un livre, tandis que la toile Mickey Mouse (1988) acte ce changement sociétal : la figure du plus célèbre personnage de dessin animé projette une ombre qui rappelle celle d’une caméra. Entre ces deux périodes, l’artiste peint 35 Cent Masterworks (1970-1972) ; il y annonce la naissance d’une société où le prix des marchandises est bradé. En 2008, il met en scène des fruits et légumes disposés sur trois étagères. Si, chez Chardin, ces denrées témoignaient d’une forme d’opulence, Thiebaud, lui, souligne leur disponibilité contemporaine au plus grand nombre par les détails de leur disposition. L’ère de la grande consommation est en marche. Cette abondance ne va pourtant pas étancher la soif du public, qui va en redemander toujours plus, et au moindre effort, de préférence, à en croire le succès du tableau Deux Machines à sous (2005). Derrière l’apparent optimisme coloré des tableaux de ce visionnaire, transparaissent ainsi des messages plus critiques. Parmi ceux teintés d’espoir, City View (1993), où l’harmonie des couleurs et la netteté des lignes aux perspectives multiples semblent présager un avenir aux solutions inédites.

 À voir
« Wayne Thiebaud », Fondation Beyeler,
101, Baselstrasse, Riehen/Bâle, tél. : +41 61 645 97 00.
Jusqu’au 21 mai 2023. 
www.fondationbeyeler.ch
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