Découverte au fond d’un placard à la faveur d’un inventaire, cette œuvre offerte par le roi de Siam à Louis XIV vient de retrouver la galerie des Glaces, là même où elle avait été présentée en cadeau. Parcours.
Le 1er septembre 1686, Versailles grouille d’une agitation toute particulière. L’ambassade du roi de Siam, Phra Naraï, est attendue pour une audience exceptionnelle accordée par Louis XIV. Sont présentes pas moins de mille cinq cents personnes pour assister à cet événement, aboutissement de longues années de tractations diplomatiques entre les deux royaumes. Car aussi au XVIIe siècle, il est question de jeux d’alliances ; le souverain asiatique cherche l’appui d’une grande puissance européenne, et la France souhaite reprendre la main afin de concurrencer le quasi-monopole des Pays-Bas. Une possibilité de conversion au christianisme d’un peuple dans l’ignorance étant également bien vue du très catholique Roi-Soleil… Voici donc sur les pavés de la cour d’honneur les trois ambassadeurs et leur suite en grand équipage, portant comme le saint sacrement la lettre de leur monarque gravée sur une lame d’or et enchâssée dans trois boîtes. Puis il faut imaginer leur réception dans la Grande Galerie nom d’époque de la galerie des Glaces , lieu édifié pour immortaliser la gloire de Louis XIV au cœur du château de Versailles. Sa Majesté trône, en hauteur, son siège installé sur un tapis de Perse à fond d’or étant entouré du célèbre mobilier d’argent. Le faste déployé est à la hauteur des présents déposés aux pieds royaux : canons, laques, orfèvrerie, étoffes, tapis, «quinze cens ou quinze cens cinquante pièces de porcelaines des plus belles & des plus curieuses de toutes les Indes» (Chaumont, 1686) et cornes de rhinocéros, présents plus exotiques et somptueux les uns que les autres. L’un des invités siamois déclarera au sortir de cette audience qu’après les trois grandeurs de l’Homme, de Dieu et du Paradis, il connaît désormais celle de Versailles ! Le résultat escompté ne sera cependant pas au rendez-vous : Phra Naraï est renversé en 1688 par un tyran qui ferme durablement le Siam aux Occidentaux… sauf aux Hollandais.
Histoire d’une redécouverte
Ainsi que le montrent les gravures de Jollain pour l’Almanach royal de 1687, les ustensiles d’or et d’argent tiennent une place importante à Versailles. Et parmi ceux-ci, la verseuse qui nous intéresse. L’objet, devenu doublement royal, disparaît des radars de l’histoire et on le pense victime des fontes qui ont marqué la fin du règne. Jusqu’à un classique inventaire de succession, mené par Maîtres Beaussant et Lefèvre. Les deux commissaires-priseurs se retrouvent devant un placard rempli de ces pièces d’argenterie aujourd’hui désuètes, voire inutiles, mais qui constituaient l’apanage de toute bonne famille ancienne. Une petite verseuse totalement oxydée retient leur attention. Par son décor de fleurettes, d’oiseaux, de papillons et de pagodes, avec son anse et son long bec simulant le bambou, elle ressemble à un objet néo-oriental fabriqué à la fin du XIXe siècle. Mais elle porte le poinçon de titre «Paris 1809-1819», des armoiries ajoutées à l’époque Napoléon III, et dans son couvercle et sous le talon, un numéro d’inventaire ainsi qu’un écu couronné. Tout cela ne fonctionne guère ensemble et prête à étude. Ils demandent à ce que l’objet leur soit confié pour recherches et l’apportent chez Émeric Portier, expert parisien en orfèvrerie. Celui-ci se plonge avec intérêt dans son étude, confirme que la marque du fond aux trois couronnes fleurdelisées en triangle correspond à celle, royale, apposée à partir du règne de Louis XIV et, pour plus de certitude, fait appel à Philippe Palasi, héraldiste reconnu, pour sonder les inventaires du Garde-Meuble du XVIIIe siècle. Sous le numéro inscrit, «DVn° 65», sont mentionnées deux verseuses au décor exotique dans des réserves, en tout point semblables et au poids identique. La petite pièce en argent se pare d’une tout autre dimension…
Un Trésor national
Tous prennent conscience de se trouver devant un objet royal, impossible à présenter en vente sans passeport de libre circulation. La suite est logique : l’État refuse de délivrer le certificat et, le 12 juillet 2016, la verseuse est classée en tant que Trésor national par le ministère de la Culture, présentant «un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire et de l’art». D’autant que, depuis, son parcours s’est étoffé et les dernières zones d’ombre ont été levées. On sait désormais avec certitude que l’œuvre, inventoriée pour la première fois par le Garde-Meuble de la Couronne en 1697 apparaît à plusieurs reprises tout au long du XVIIIe siècle dans d’autres éditions de ces inventaires, avant de se retrouver dans l’une des dernières ventes révolutionnaires de 1797. Elle rejoint alors certainement le commerce d’où le poinçon au coq , avant d’entrer dans la famille Terray de Morel-Vindé, descendante en ligne directe de Pierre Terray, frère du contrôleur général des Finances de Louis XV de 1769 à 1774. La négociation est confiée à la maison Beaussant Lefèvre, son inventeur. Reste alors à se mettre d’accord sur son prix d’acquisition. Ce sera un million d’euros et, le 14 février 2018, la verseuse est acquise par l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles. Cet achat exceptionnel à plus d’un titre fut possible grâce au mécénat de LVMH, très engagé auprès de Versailles depuis 1991. Ne restait plus qu’à redonner à la royale verseuse son lustre initial. Un simple nettoyage a suffi pour que ses rehauts d’or resplendissent à nouveau. C’est ainsi un objet d’un intérêt artistique, historique et scientifique majeur qui entre dans les collections publiques nationales, l’un des rares des collections de Louis XIV à ne pas avoir été fondu et, à ce jour, la seule pièce d’orfèvrerie connue offerte par le roi de Siam.