À l’heure où l’art doit souvent servir de propagande, force est de constater que notre théière fait la part belle aux contes et légendes russes. Explication.
Si sa forme est classique, le décor et la palette de cette porcelaine le sont beaucoup moins... En ces années 1920, les ouvriers se doivent de mettre en application les conseils de Lénine en matière d’art. C’est-à-dire utiliser celui-ci comme support de propagande. La Fabrique nationale de Porcelaine, anciennement Fabrique impériale créée à Saint-Pétersbourg par Catherine II, devenue en 1925 fabrique Lomonossov, demeure la plus productive. Ses céramistes excellent dans les services à sujets révolutionnaires inspirés de l’art de l’affiche, où l’on y vante le retour de la terre aux travailleurs, le règne sans fin des ouvriers et des paysans, l’esclavage banni par la raison, la lutte engendrant les héros... Rarement monochromes, les pièces se parent au contraire de couleurs vives ou de teintes sombres parfois soulignées de dorure. Les plantes et les fleurs stylisées s’enroulent parfois sur le pourtour des plats et des assiettes ou se mêlent aux inscriptions et aux personnages, tandis que le fantastique et le symbolique sont associés à l’emblématique révolutionnaire et à la représentation réaliste d’événements vécus. Pour d’autres artistes de la manufacture Lomonossov, c’est la vie paysanne, les scènes de bataille, mais aussi les légendes russes qui sont source d’inspiration. Dans cette belle uniformité, quelques critiques s’élèvent envers certains qui, à la recherche de nouveaux procédés, se lancent dans la réalisation de formes, de lignes et de motifs géométriques. Telle cette théière de Malevitch qui ne sera jamais tirée en série. Amateur de miniatures asiatiques, Alexis Vorobievski (1906-1992) met en scène des événements réels, dans un style précis et fantastique, où les tons pourpres, bleus et verts dominent. Né à Tankhoï, dans la région du lac Baïkal, d’un père employé des chemins de fer, il quitte un domicile familial où l’on n’a, semble-t-il, que faire de ses dispositions pour le dessin et la peinture. Direction : Petrograd, puis une école pour enfants défavorisés entre Saint-Pétersbourg et Pavlovsk. En 1926, il intègre la manufacture Lomonossov et fait ses premiers pas sous la houlette du dessinateur, céramiste et émailleur Sergueï Tchekhonine, l’un de ses ténors. Vorobievski se taille bientôt une solide réputation avec ses pièces ornées de paysages diaphanes, de fleurs et d’arbres inspirés de l’Orient, de châteaux mystérieux dissimulés au fond de jardins rose pâle, de montagnes cristallines et de villes imaginaires.
D’apparence parfaite, ses décors révèlent en fait une multiplicité de motifs, tous différents et surtout posés sans aucune symétrie. Regroupant les motifs, il les sépare du fond dont il préserve la blancheur. Toute la féerie de l’Orient rutile sous son pinceau. Les Ballets russes de Diaghilev ne sont pas loin non plus. Chevauchant une licorne, un flambeau à la main, une jeune femme traverse un paysage où les arbres se mêlent aux épis de blé, tandis qu’au fond, des maisons rappellent l’accord parfait entre la ville et la campagne. Ou le souvenir d’un passé nostalgique...
Théière en porcelaine ornée sur chaque face d’une jeune femme chevauchant une licorne sur fond de village imaginaire, anse en forme de gerbe de blé, bouton de fleur au naturel sur le couvercle.
Alexis Vorobievski, manufacture Lomonossov, Leningrad, 1931, h. : 31 cm.
Estimation : 8 000/10 000 euros