Le 13 mars, Audrey Azoulay s’est livrée en petit comité à un mea culpa sur l’action de son ministère, avec une franchise à laquelle nos gouvernants ne nous ont pas habitués. Elle évoquait l’accueil que l’administration a si longtemps réservé aux familles juives essayant de retrouver les propriétés dont ils avaient été spoliés sous l’Occupation. «Trop longtemps, ont été opposées des réponses froides, insensibles, juridiques, quand ce n’était pas de la suspicion», a-t-elle dénoncé en se félicitant de la restitution d’un dessin attribué à Parmigianino, que le Louvre a gardé près de soixante-dix ans. En quelques mois, une conservatrice, Juliette Trey, en a retrouvé l’origine dans la collection de Federico Gentili di Giuseppe, qui avait été dispersée à Drouot après sa mort, en 1941, par Me Maurice Rheims. Dans cette cérémonie, à laquelle la famille a voulu conserver un caractère privé, la ministre a parlé d’«affaire d’État» pour évoquer les refus qui lui ont été opposés pendant un demi-siècle. Une longue et douloureuse procédure judiciaire a été nécessaire pour obtenir, en 1999, la restitution par le Louvre de cinq tableaux, dont un Tiepolo sur lequel Goering avait jeté son dévolu. Pour la première fois, un ministre de la République a estimé que ce jugement avait consacré la victoire «du droit et de la morale» contre le Louvre et l’État, dont l’obstination semble aujourd’hui «si difficile à comprendre». «Nous sommes dans un tout autre contexte, j’espère. Le temps a passé, la prise de conscience est réelle, la réflexion a avancé, les manières de faire ont évolué», a-t-elle poursuivi, en s’étonnant qu’il ait encore fallu dix-huit ans pour rendre aussi ce dessin, tant le «désir de justice» peut être contredit par une succession «de tristes hasards et, parfois, de mauvaise volonté».
Juliette Trey a intégré le groupe de recherche des provenances élargi fin 2015 aux départements du Louvre. Elle enquête donc sur les cent trente-trois dessins ou estampes récupérés en Allemagne et toujours non restitués deux mille œuvres environ sont dans ce cas. La numérisation des catalogues de ventes conduite par l’Institut national de l’histoire de l’art lui a permis d’identifier la composition. Saisie au musée de Düsseldorf, elle avait été confiée au Louvre en 1948, comme «scène mythologique», sous le n° REC 68 (pour «récupération»). La conservatrice a pu en reconstituer l’historique grâce aux marques de prestigieux collectionneurs figurant au dos, du comte d’Arundel à Vivant Denon, en passant par Jabach. Gentili l’a acquise à Drouot en 1932, lors de la vente de la collection d’Anatole France. Reste à espérer que ces fortes paroles seront suivies des faits, en permettant d’élargir la recherche et sa divulgation à l’ensemble des œuvres au passé trouble dans les collections publiques, tout en intégrant des universitaires, historiens et juristes indépendants à une quête qui demeure aujourd’hui l’apanage de fonctionnaires. L’administration est encore incertaine et divisée. En témoigne la disposition honteusement introduite dans la loi patrimoine et création, visant à faire entrer progressivement la plupart des œuvres récupérées en Allemagne comme prises de guerre dans les collections publiques. Certains souhaiteraient refermer ce chapitre douloureux. Mais la spoliation artistique n’est pas assimilable à n’importe quel pillage : elle est partie intégrante d’une machine d’anéantissement d’une communauté tout entière, qui a été qualifié de crime imprescriptible contre l’humanité.
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