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Réseaux sociaux : oser l’ignorance !

Publié le , par Vincent Noce

Au sombre royaume de l’Internet, les extraterrestres et les démons planent au-dessus d’une Terre plate, dévorant petit à petit le cerveau de nos enfants. Ce pourrait être la conclusion d’une étude de l’Ifop commandée par les Fondations Reboot et Jean-Jaurès. « Ose savoir ! », lançait Kant proposant de définir le règne des...

  Réseaux sociaux : oser l’ignorance !
 

Au sombre royaume de l’Internet, les extraterrestres et les démons planent au-dessus d’une Terre plate, dévorant petit à petit le cerveau de nos enfants. Ce pourrait être la conclusion d’une étude de l’Ifop commandée par les Fondations Reboot et Jean-Jaurès. « Ose savoir ! », lançait Kant proposant de définir le règne des Lumières. À l’instar d’Horace, il appelait son lecteur à conduire l’apprentissage de la connaissance pour penser par lui-même. Aujourd’hui, une bonne fraction de la jeunesse semble clamer : « en quelques clics, ose l’ignorance » ! Les résultats de cette enquête auprès d’un millier de jeunes de 18 à 24 ans sont tellement ahurissants qu’on se demande si les esprits facétieux n’ont pas choisi de se moquer des sondeurs en leur racontant n’importe quelle billevesée leur passant par la tête : un sur cinq pense que la Terre pourrait être plate, quand la moitié croit aux esprits. La corrélation est nette avec un recours obsessionnel aux réseaux sociaux, la palme de la nocivité revenant à TikTok et Telegram, émanant de Chine et de Russie : l’idée que la Terre puisse être un disque plat se retrouve chez près de 30 % de leurs utilisateurs réguliers. Le lien avec l’éducation est évidemment fondamental : 26 % des non-diplômés croient que les pyramides d’Égypte ont été édifiées par des extraterrestres. Les filles seraient plus crédules que les garçons. L’âge et l’affiliation religieuse ou politique s’entrecroisent dans le culte des conspirations. 20 % des jeunes pensent que les Américains ne sont jamais allés sur la Lune, contre seulement 6 % des seniors. Ce pourcentage monte à 46 % des jeunes musulmans et 26 % des sympathisants du Rassemblement national. 

Un jeune sur cinq pense que la Terre pourrait être plate, quand la moitié croit aux esprits.

Comme amplement démontré les dernières années, ces fables peuvent avoir un effet sur la santé publique. Un tiers des interrogés croit à la dangerosité du vaccin contre le Covid et un quart que l’hydroxychloroquine en est le remède. La moitié des utilisatrices de Telegram pensent pouvoir avorter sans souci avec des plantes. « Au total, deux jeunes sur trois croient à au moins l’une de ces contre-vérités », conclut l’enquête, une proportion qui atteint 80 % des adeptes du micro-blogging et 85 % chez les musulmans. Mais elle est aussi de 75 % chez les catholiques. Sublimées par Internet, ces croyances surnaturelles sont-elles un effet d’âge, qui passerait avec le temps, ou de génération, susceptible de s’installer dans la durée ? L’étude n’apporte pas de réponse convaincante. Elle pointe la responsabilité des acteurs qui se prêtent à cette intoxication collective – voir la si longue complaisance qui a entouré la dérive de Didier Raoult, jusqu’à sa réception par le président de la République. La mécanique grégaire fonctionne à plein : les « influenceurs » servent de « canal privilégié des informations ». 40 % des usagers réguliers de TikTok ont foi en leur crédibilité, puisqu’ils affichent beaucoup d’abonnés. L’enjeu est aussi financier, puisque leurs saillies les plus choquantes servent de « pièges à clics », permettant d’engranger des millions d’euros en publicité. Cette logique du profit contamine les médias. Il est difficile de ne pas citer le concours d’insanités lancé chaque soir à la télévision, sous l’aile de Vincent Bolloré. Comme le notait un rapport sur la désinformation remis il y a un an à Emmanuel Macron, le mythe d’une construction des pyramides par des aliens a été popularisé par une série, « usurpant les codes du documentaire », diffusée par RMC Découverte. Il relevait aussi que le serveur de France Culture abritait des annonces de sites « aux contenus douteux, notamment en matière de santé ». À la fin de l’émission « La science, CQFD » de la même station, l’animatrice a pris l’habitude de lancer négligemment : « et souvenez-vous, rien n’est établi ». Euh… si, justement. Pour mémoire, la Terre n’est pas plate.

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