Renoir, Pissarro ou Boudin sont autant de noms à retenir au centre de cette dispersion qui pourrait bien être le premier grand rendez-vous de la saison à Drouot. Les accompagnent des faïences françaises, de l’orfèvrerie et du mobilier XVIIIe.
La maison de ventes cultive depuis longtemps le mystère des provenances. Une fois encore le secret est bien gardé et ce sont les œuvres qui parlent, plus que leurs propriétaires. Elles sont issues de la succession de Mme X et ont été acquises dans les années 1970-1980 auprès des grands marchands parisiens, Schmit, Nicolier et Étienne Lévy, pour les plus connus. La plupart des pièces proposées sont passées par de prestigieuses collections, ont été exposées ou sont reproduites dans les ouvrages de référence. L’un des plus beaux exemples de la vente est la Baigneuse assise de 1905 (voir photo, page 17) signée Pierre Auguste Renoir. Le peintre la cède à son ami Maurice Gangnat, qui la conserve jusqu’à sa mort et à la vente fleuve de sa collection en 1925 à l’hôtel Drouot (voir encadré page 17). Elle est acquise par le célèbre marchand des impressionnistes Paul Durand-Ruel, exposée à Paris et à New York. Après plusieurs années outre-Atlantique, elle est cédée par Sotheby’s à Londres, le 2 juillet 1974, pour 26 000 £. Passée par la galerie Schmit, elle rejoint une collection européenne. Un joli parcours pour cette toile d’un sujet typique de l’artiste. Notre baigneuse assise au bord d’une rivière compte au nombre des derniers tableaux où Renoir a peint des nus à côté de leurs vêtements abandonnés, une façon d’ajouter une teinte claire à une palette très réduite. Commencée en 1881, la série des baigneuses en plein air met en scène une figure monumentale se détachant sur un fond réduit presque au minimum, un feuillage rapidement brossé avec une zone de bleu à mi-hauteur, à droite, indiquant la présence d’une rivière. On ne sait en revanche si le modèle ignore complètement le spectateur ou si, d’un regard furtif, il constate sa présence, son geste offrant son corps à son regard et cachant une partie de son anatomie, sa pose semblant cependant tout à fait naturelle. Après 1900, Renoir se remet à peindre des modèles aux formes amples, rappelant la vision de la beauté féminine de Titien et de Rubens.
Maîtres du plein air
Peintre des ciels, Eugène Boudin fut aussi celui des scènes de plage avec dames en crinoline, l’un des sujets les plus prisés des amateurs pour ses tonalités chatoyantes et le sentiment de vie qui s’en dégage. Comptez 80 000/120 000 € pour un panneau daté 1869 ayant appartenu à la collection Henri Rouart. Direction la baie de Somme et la Bretagne pour les deux autres peintures de l’artiste honfleurais que réserve cette succession : Le Chargement du poisson à Berck (60 000/80 000 €) et Le Passage. Embouchure de la rivière de Landerneau (80 000/100 000 €, voir photo, page 17). Comme les femmes vêtues de beaux atours, les pêcheurs sont loin de laisser les amateurs indifférents. Les atouts de ces toiles ? Un ciel immense, un camaïeu de gris, de bleu et de noir réveillé par les coiffes blanches et par quelques parements de rouge sur les vêtements, le jeu des reflets. Sans oublier les trois éléments – le rivage, la mer et l’horizon – donnant de la profondeur à la composition, ni les bateaux sur la grève ou voguant au large. Bref, deux tableaux qui pourraient faire du bruit dans Landerneau, tout comme la toile de Camille Pissarro, Cour de ferme à Melleraye, datée 1876 (voir photo page de droite). Exposée à Paris aux galeries Manzi-Joyant en 1914 et Durand-Ruel en 1928, chez Marcel Bernheim en 1936 et Paul Rosenberg deux ans plus tard – ainsi qu’au musée de l’Orangerie en 1930 pour le centenaire de la naissance de l’artiste –, elle a appartenu à Georges Viau, dentiste de profession, collectionneur et mécène. Proche des Rouart, ce peintre amateur qui s’amusait à mystifier ses visiteurs par des pastiches aimait aller «à la source» et acheter chez les artistes directement. Il a, paraît-il, assez d’influence auprès d’Ambroise Vollard pour lui recommander… Camille Pissarro. Dans les ventes de ses premières collections les 21 et 22 mars 1907 chez Durand-Ruel, on compte cinq Monet, quinze Renoir, douze Sisley, dix-neuf Pissarro, dont cette séduisante scène de la vie paysanne. Une œuvre qui traduit l’amour du peintre pour la nature mais surtout celui pour ces figures respirant la simplicité, absorbées dans leurs occupations.
De Moustiers à l’orfèvrerie anglaise
Sans transition, on passe aux céramiques. Quelques pâtes tendres de Mennecy et statuettes en porcelaine dure de Meissen mais surtout des faïences de Sinceny près de Rouen, et de Moustiers. Très modestement estimée (1 000/1 500 €), une curieuse gourde en forme de livre relié, à motifs de cœurs enflammés et d’une jeune femme tenant un bouquet de fleurs (voir photo, page 16), témoigne des créations de la famille Féraud, dont on a dénombré dix-neuf membres dans la profession faïencière, travaillant soit à leur compte, soit pour des propriétaires de fabriques. Leitmotiv de cette production méridionale qui s’étendra de 1730 à 1874, une palette douce où dominent les jaunes chauds, les bleus et les verts tendres. 8 000/15 000 € en revanche sont demandés d’un rare pichet et son bassin, à décor de cortège mythologique emmené par Jupiter et Orphée, attaqué par les Ménades parmi les fleurs de solanées. Cet ensemble porte la célèbre marque de Fouque et Pelloquin. Une paire de commodes en acajou et placage d’acajou, à plateau de marbre et discrètement rehaussée de bronzes, l’une estampillée «Dester», redorera-t-elle le blason du mobilier XVIIIe, bien terni depuis plusieurs années ? Espérons-le… Elle est estimée 12 000/15 000 €. S’il est un marché qui ne connaît pas la crise, c’est celui des montres anciennes, destiné à un public avisé de collectionneurs, européens, asiatiques et américains. Beaucoup plus que la marque, c’est l’état qui prime. Les quatre modèles XVIIIe, en or pour trois d’entre eux, en argent pour celui de carrosse, affichent un cadran, un boîtier et un mouvement parfaits. Leurs estimations (entre 1 000 et 3 000 €) devraient donc être dépassées, notamment pour celle d’époque Louis XVI, en or, à décor émaillé de fleurs et feuillages, dont sont friands les amateurs chinois, et pour l’imposante horloge de carrosse proposée avec son étui en cuir gaufré. Comment un coffret-nécessaire anglais en or, d’époque George III se retrouve-t-il dans une collection française ? La réponse est plus simple qu’il n’y paraît, ces précieux objets sortis des ateliers d’orfèvres anglais vers 1770 étant principalement réalisés pour l’exportation, notamment pour la France, la Turquie, la Chine et la Russie. Si le décor du nôtre (voir photo, page 15) est classique avec ses courbes asymétriques, personnages, oiseaux, animaux de la ferme et guirlandes de fleurs – que l’on retrouve sur des nécessaires d’architecte –, sa facture l’est moins avec son habillage en or. Les musées du Louvre et Cognacq-Jay conservent des exemplaires en agate et en émail… Rien n’est encore écrit pour celui-ci mais il devrait susciter leur convoitise.