Provenant du château de Sancerre, où il était conservé depuis près de cent-vingt ans, cette toile évoquera un Camille Corot évidemment paysagiste, mais aussi lyrique. Tout comme ce pâtre, rêvons d’horizon.
On avait perdu sa trace depuis 1905. C’est donc une redécouverte que celle de ce paysage de Jean-Baptiste Camille Corot. Répertorié dans le troisième tome du catalogue raisonné de l’artiste publié par Alfred Robaut cette même année 1905, sous le n° 2459, il y était parfaitement décrit – la dédicace à l’ami inconnu était également indiquée –, mais non reproduit. Ainsi ce pâtre contemplatif se cachait-il depuis derrière les murs du château de Sancerre. Bientôt mise en vente, la demeure était de moins en moins habitée. Le tableau avait été relégué au grenier… où furent parfaitement préservées sa lumière poétique et ses couleurs pastel. Lors de leur visite, les experts l’ont immédiatement repéré, conquis par son rare format vertical et ses dimensions, remarquables au regard du corpus de Corot. Largement daté dans le catalogue – entre 1850 et 1870 –, pour l’expert Éric Lefèvre, « il aurait plutôt été réalisé vers 1850, considérant son aspect encore très italianisant ». Néanmoins, comme souvent chez le peintre, il est bien difficile de localiser la scène. Au fil de ses voyages, il gardait dans sa bibliothèque d’images certaines vues et motifs, les faisant varier à l’envi durant toute sa carrière. Ce berger en haut d’une colline surplombant la vallée et regardant l’horizon pourrait aussi bien se situer dans la campagne romaine que dans quelque contrée auvergnate ou bourguignonne.
Corot commençait le plus souvent ses toiles en plein air, en plusieurs séances, avant de les retravailler en atelier… Cette démarche, il l’a mise au point au contact de ses maîtres Achille-Etna Michallon et Victor Bertin, adeptes du pleinairisme et du néoclassicisme, puis en Italie, où il se rend entre 1825 et 1828, ainsi qu’en 1834 et 1843. Durant ces séjours, il participe à la révolution de la peinture du paysage avec des études sur le motif qu’il exposera en tant que telles. S’il est l’un des premiers à fréquenter Barbizon, son art s’apparente également au réalisme en germe. Pourtant son style n’épouse aucune école, empruntant même dans les années 1840 une voie encore différente, à la fois naturaliste et poétique. Corot se place avec bonheur à la croisée des chemins : entre le paysage italianisant, très structuré, et celui, lyrique, où la lumière prend le pas sur le dessin. D’ailleurs, le peintre, qui parcourait régulièrement la France, fréquenta également Honfleur où il travailla beaucoup sur les variations du ciel et de la lumière, notamment sous l’influence du jeune Monet, mais aussi de Boudin ou de Jongkind. En demeurent dans ses œuvres une atmosphère vaporeuse, une matière légère et diaphane alternant empâtements, glacis et frottis, et comme ici, cette lumière délicate d’un ciel rosé de fin de journée. L’aspect bucolique de certains de ses tableaux devait provoquer en 1866 la critique d’un Émile Zola toujours en verve : « Si M. Corot consentait à tuer une fois pour toutes les nymphes dont il peuple ses bois, et à les remplacer par des paysannes, je l’aimerais outre mesure. » L’écrivain aurait pu changer d’avis en regardant cette toile très inspirante où, de dos, à l’instar d’un certain voyageur peint par le romantique allemand Caspar David Friedrich en 1818, le petit personnage au béret rouge nous invite à la contemplation.