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Rapport TEFAF : la fin d’un monopole

Publié le , par Pierre Naquin

Alors que la plus belle foire du monde de l’art ferme ses portes, retour sur le rapport de sa trentième édition au parfum de renouveau.

© COURTESY TEFAF Rapport TEFAF : la fin d’un monopole
© COURTESY TEFAF

C’était une machine bien huilée. Tous les ans, en mars, le petit monde de l’art recevait le rapport Tefaf, le seul véritablement complet qui englobait tous les aspects du marché. Personne ne se posait vraiment de questions. On lisait les premières pages et l’on pouvait faire semblant de tout comprendre, de tout savoir sur le business de l’art. Et patatras ! L’été dernier, on apprenait que Clare McAndrew, l’auteur dudit rapport, allait faire des infidélités et proposer désormais ses services à la grande maison suisse Art Basel. Qui allait donc s’occuper de la production de l’étude de la Tefaf pour ses 30 ans? Willem Van Roijen n’a pas eu à chercher bien loin : l’une des meilleures expertes du domaine enseigne justement à l’université de Maastricht. Ni une ni deux, Rachel Pownall était de la partie. Entre les délais d’organisation et ses propres engagements, celle-ci n’a eu que quatre mois pour tout reconstruire et rendre son verdict sur le marché de l’art. Voyons si cela s’en ressent…
Les chiffres
Pour que rien ne soit simple, la méthodologie employée par Rachel Pownall est différente de celle qu’utilisait Clare McAndrew, ce qui signifie avant tout que les rapports ne sont plus comparables entre eux. C’est vraiment dommage, mais il était peu probable qu’il en soit autrement. L’auteur a du coup recalculé toutes les données de l’année 2015 pour que les lecteurs puissent avoir un semblant de point de comparaison. Mais impossible de remonter au-delà. Les chiffres, donc. Le marché de l’art est en progression de 1,7 %, passant de 44 à 45 milliards de dollars. Cette progression est entièrement le fait des marchands et des galeristes puisqu’ils accusent une croissance de 20 % (évoluant de 23,25 à 27,9 Mrds $), là où les maisons de ventes ont connu une chute de leur chiffre d’affaires de 18,75 % (de 21,08 à 16,9 Mrds $). Le rapport de force est donc clairement en faveur des marchands (62,28 % de la valeur totale contre 52,45 % en 2015). L’Europe est de loin le plus gros marché avec 20,5 Mrds $ de chiffre d’affaires répartis entre les dealers, à 69,2 % (14,2 Mrds $), et les opérateurs d’enchères (6,3 Mrds $ dont 1,08 Mrd $ de transactions privées). L’Asie présente un profil très différent : 68 % des ventes y sont réalisés au marteau, soit 6,81 Mrds $ sur un peu moins de 10 Mrds $. Entre les deux continents, les Amériques, aux traits similaires à l’Europe avec un marché total de 14,5 Mrds $, occupé à 60 % par les marchands (8,8 Mrds $). Pour ce qui est des flux, les données pour 2016 ne sont pas disponibles. Considérant ceux de 2015, le rapport indique que les exportations d’objets d’art représentaient 28,91 Mrds $ ou 28,05 Mrds $ d’importation cette année-là. Si on le compare au chiffre d’affaires mondial, cela signifie que près des deux tiers des transactions (en valeur) sont destinées à l’exportation ! Le continent européen est exportateur net avec 14,6Mrds$ pour «seulement» 12 Mrds $ d’importation. Les Amériques, au contraire, importent un peu plus (12,11Mrds $) qu’elles n’exportent (11,4Mrds $). L’Asie importe pour 4 Mrds $ lorsqu’elle exporte 2,71Mrds $. Et Rachel Pownall de confier : «J’ai quelque part été surprise de la profondeur et de l’importance de l’Europe. On entend d’ordinaire surtout parler des États-Unis et de l’Asie, mais le vrai centre du marché est en Europe : la majorité des marchands, des événements, et même dans une certaine mesure des maisons de ventes sont là.» Toujours selon le rapport, les galeries représentent bien des emplois : 31 500 personnes aux États-Unis, 21 500 en Allemagne, 11 000 au Royaume-Uni, 7 000 pour le Canada, 1 800 en France  soit moins que la Belgique (3 800 emplois) , l’Autriche (9 200) ou les Pays-Bas (2 800). Des chiffres pour le moins étranges qui mériteraient d’être réajustés en fonction des méthodes de comptage des différentes nations ; celles-ci ayant chacune une définition personnelle du marché de l’art ou même de l’emploi.

Le marché de l’art est en progression de 1,7 %, passant de 44 à 45 milliards de dollars.

Transparence
Reconnaissons une qualité à Rachel Pownall : la transparence dont elle fait preuve tout au long du rapport. Chaque décision, chaque méthodologie est expliquée et même justifiée. Pourquoi ne pas appliquer de multiple aux résultats des maisons de ventes ? Car les 100 plus gros opérateurs représentent déjà 93 % du commerce de l’art et que l’échantillon étudié comprend 28 000 auctioneers. Impossible donc de rater plus de 1 % du marché. Pourquoi utiliser davantage les statistiques générales des pays analysés plutôt que les résultats d’enquêtes ? Parce que les syndicats de marchands, même les mieux organisés, ne sont représentatifs que d’une fraction des acteurs ; sans compter qu’une majorité ne répond pas… Et quand Rachel Pownall n’est pas sûre de certaines informations, elle préfère ne pas les intégrer au rapport. Il en est ainsi des dealers asiatiques, ou de la structure de coût des différents acteurs. «Lorsque l’on sort de l’Occident, les offices nationaux de statistiques regroupent les données à un niveau beaucoup plus général que ce dont nous aurions besoin. […] Je suis la première à admettre que certaines régions du monde sont très difficiles à estimer», analyse-t-elle. Quand on l’interroge sur les tendances des prochaines années, Rachel Pownall, dans son style toujours mesuré, déclare : «Même si les grands centres que sont les USA, l’Europe et l’Asie vont rester les trois foyers du marché, je vois apparaître de nouveaux hubs régionaux, qui pourront prendre progressivement des parts d’activité. On l’observe un peu dans les chiffres, mais aussi en s’intéressant aux contextes géopolitiques et à la fin de l’ère du free trade total de certains pays.» Considérant l’évolution des prix, elle perçoit un changement continu des goûts, «signe de vitalité du marché» ; ainsi, la peinture ou l’art moderne croissent en Chine à l’inverse de l’Occident, quand les antiquités progressent au Japon…» D’une géographie à l’autre, les sensibilités évoluent différemment, ce qui est vraiment nouveau et, selon moi, intéressant.»
Risque de saturation ?
Pour le marché de l’art en ligne, sans dire que celui-ci est saturé, Rachel Pownall note qu’il «ne devrait plus bénéficier de la croissance constatée ces dernières années. Il semble avoir trouvé sa place sur le bas/moyen segment du marché et devrait continuer à se structurer». En échangeant avec l’auteure, on s’aperçoit que ce rapport est un premier travail dont elle est fière, mais qui ouvre autant de questions qu’il apporte de réponse. «Pourquoi inclut-on les bijoux anciens, mais pas la création contemporaine ? Que considère-t-on comme une vente en ligne ? Quid des antiquités échangées sur les marchés aux puces ?» Autant d’interrogations qu’elle soulève et qu’elle nous invite à étudier. On perçoit d’ailleurs, à travers tout le rapport, les centres d’intérêt personnels de Rachel Pownall : la typographie des collectionneurs, les comportements des acheteurs, l’évolution des écosystèmes (voir Gazette n° 28, pages 14-15). Que peut-on attendre pour la prochaine édition ? Des focus plus importants sur certaines parties du monde (le Moyen-Orient, notamment), des études plus détaillées sur les différentes spécialités ou une recherche plus poussée sur la notion de «réseau» dans le business de l’art. Au final, à la lecture des 220 pages du rapport, un sentiment étrange nous saisit : à la fois la satisfaction d’en savoir vraiment plus sur le marché de l’art (la nouveauté incitant à l’examen complet de l’étude) et l’imperceptible impression que certaines informations manquent cruellement. Ne plus avoir un seul rapport sur lequel s’appuyer oblige à véritablement comprendre comment sont élaborées ces études et comment elles sont utilisées. Le rapport Tefaf n’est plus la voix, c’est une voix. À nous désormais de méditer sur ce que chacune d’elles nous dit. 

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