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Rapport Artprice 2022, le million de lots dépassé…

Publié le , par Pierre Naquin

Parmi les grandes tendances de l’année : les NFT disparaissent, les États-Unis et les ventes de grandes collections confortent leur emprise sur le marché de l’art international, la Chine est à la peine. 

© artprice.com Rapport Artprice 2022, le million de lots dépassé…
© artprice.com

Vingt-sixième rapport sur les enchères d’art pour Artprice. Soit un quart de siècle d’activité pour la base de données fondée par Thierry Ehrmann, qui affiche désormais plus de 15,5 millions résultats de vente « fine arts » à son actif. Et pour la première fois, la plateforme comptabilise plus d’un million de lots (1 088 945, très exactement) mis en vente sur une année – de quoi insister sur la densification du marché. Ce sont plus de 700 000 biens artistiques qui ont trouvé preneur (avec un taux d’invendu de 35,3 %, meilleur qu’avant la pandémie)… pour un chiffre d’affaires total de 16,5 Md$. Tour d’horizon.

Les États-Unis rient…
La géographie du marché n’est pas encore chamboulée : les États-Unis renforcent leur poids sur l’écosystème mondial (44 % du montant des ventes), se payant le luxe de réaliser leur meilleur chiffre d’affaires annuel (7,3 Md$, + 26 %). Cette mainmise de la première puissance est valable autant en valeur (25 des 29 adjudications à plus de 50 M$ ont été frappées à New York) qu’en volume (plus de 158 000 lots y ont été cédés, soit 22 % du total). En Europe, le marché de l’art au Royaume-Uni se révèle immunisé aux conséquences du Brexit et de la crise politique actuelle, affichant une progression de 8 % avec 2,1 Md$. Les lots vendus à Londres y sont toujours plus nombreux : 92 000 en 2022, soit plus du double de 2015. À l’inverse, la France qui, même si elle maintient sa quatrième position mondiale, ne réalise la même année « que » 991 M$ de chiffre d’affaires, alors qu’elle avait atteint le milliard en 2021. Néanmoins, l’Hexagone présente l’offre la plus dense après les États-Unis, avec 180 000 lots proposés et 106 000 vendus.

… et la Chine pleure
Mais le grand perdant de ce cru s’avère être la Chine, qui enregistre son chiffre d’affaires total le plus bas depuis 2009 : seulement 3,9 Md$, en baisse de 2 Md$ d’une année sur l’autre (– 34 %). Plus grave, le taux d’invendu y est très élevé : 63 % des lots ne trouvent pas acheteur dans l’empire du Milieu. 2 Md$ sont toujours réalisés dans la capitale chinoise, mais le haut de gamme s’est visiblement déplacé vers Hong Kong qui enregistre les plus grosses adjudications. Artprice (et son partenaire Artron) constate aussi que les grandes maisons occidentales se sont désormais bien installées à Hong Kong, y réalisant une part significative de leurs résultats (Christie’s : 8, Sotheby’s : 12 et Phillips 13 %). Même si de nouveaux hubs – comme Séoul, Le Cap, Sydney et Tokyo – ne cessent d’émerger, permettant de développer des marchés locaux forts, ils ne sont pas encore à même de transformer la géographie globale du marché de l’art : moins de 24 % du CA total est réalisé hors des quatre grands pôles.

Casting inchangé pour les maisons
Christie’s continue de dominer, réalisant à elle seule 35 % des ventes totales mondiales (5,8 Md$), portée par ses grandes dispersions de collections (Bass, Allen et Amman représentant à elles seules 2,4 Md$, soit 41 % des ventes de l’opérateur anglais). Derrière, Sotheby’s est plutôt à la peine, réalisant 3,9 Md$, soit 500 M$ de moins qu’en 2021 (– 11 %). Phillips, en embuscade, réalise pour la première fois plus du milliard de dollars de CA (dont 73 M$ aux enchères), porté par la part toujours plus importante de l’art contemporain dans ce marché. En parallèle, Bonhams fait montre d’un appétit vorace, en acquérant pas moins de quatre maisons intermédiaires : Bruun Rasmussen au Danemark, Skinner aux États-Unis, Bukowskis en Suède et Cornette de Saint Cyr en France. Si cela lui permet d’atteindre le milliard de dollars de chiffre d’affaires, seulement 214,7 M$ sont réalisés aux enchères sur le « fine art ». En France, Artcurial progresse pour le vingtième anniversaire de sa création. La maison des Champs-Élysées réalise en 2022 102 M$ de vente d’art, soit 10 % du marché national, avec quelques beaux records, comme la nature morte de Jean-Baptiste Siméon Chardin adjugée 26,8 M$, un record pour un tableau ancien français.

La moitié des œuvres sous 800 $
Le prix moyen des pièces vendues aux enchères est néanmoins loin des records annoncés régulièrement dans les médias : 41 % des lots réalisent moins de 500 $, quand le prix médian d’une œuvre aux enchères tourne autour des 760 $ (contre 930 $ en 2021), le prix moyen baissant également (23 500 contre 25 730 $). Ce sont près de 400 000 pièces qui trouvent preneur sous les 1 000 $ (+ 52 % par rapport à 2019), 25 % des lots étant vendus entre 1 000 et 5 000 $, et 11% entre 5 000 et 20 000 $. Ce sont ainsi plus de 92 % des lots qui trouvent preneur à moins de 20 000 $.

La mainmise des grandes collections
À l’autre bout du spectre, ce sont bien les grandes collections mises en vente par les grands acteurs internationaux qui raflent le plus gros du gâteau : là, 6 lots dépassent les 100 M$, 24 les 50 M$ et près de 1 700 le million de dollars. Les six lots « centimillionnaires » faisaient tous partie de deux collections (Paul Allen et Thomas et Doris Ammann), toutes deux proposées par Christie’s. Avec un total de plus de 800 M$, elles représentent plus que les marchés de l’art de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon réunis. « Au-delà de la qualité intrinsèque des œuvres présentées lors de ces ventes, il y a certainement un premium associé à la provenance. Le système des garanties vient en plus obscurcir le tout », explique Jean Minguet, responsable de l’économétrie d’Artprice. « On constate également que les plus hauts prix sont souvent le fait de chefs-d’œuvre “frères” de pièces que l’on retrouve dans les plus grandes institutions. C’était le cas des Joueurs de cartes de Cézanne, par exemple, ou de la Sainte-Victoire cette année. »

Monet, roi des enchères en 2022
Si Warhol réalise 590 M$ de résultat des ventes avec ses 2 159 œuvres vendues (prix moyen : 270 000 $), c’est bien Claude Monet qui marque l’année 2022 avec 539 M$ réalisés par seulement 39 lots (prix moyen : 13,8 M$). La présence de chefs-d’œuvre de l’artiste dans les collections Allen et Bass explique aisément ce très beau résultat : Waterloo Bridge, soleil voilé (1899-1903) était vendu 56 M$, Le Parlement, soleil couchant (1900-1903), 75,96 M$, Nymphéas (1907) obtenant 56,5 M$ et Peupliers au bord de l’Epte, automne (1891), 36,4 M$ ; à eux quatre, ils réalisent 41,7 % des ventes du maître. Cinq artistes battent leurs records d’enchères avec des résultats à plus de 100 M$. Ainsi, la petite version des Poseuses ensemble de Georges Seurat a été adjugée 149,2 M$, une Sainte-Victoire de Cézanne a atteint 137,8 M$, Verger avec cyprès de Van Gogh 117,2 M$ et une Maternité de Gauguin 105,7 M$, quand Birch Forest de Gustav Klimt se vendait pour 104,6 M$.

Les NFT dans les choux
Si le rapport Artprice parle pudiquement des NFT comme « gagnant en modestie », le constat est douloureux pour la technologie qui avait enflammé l’économie de l’art en 2021. Une seule enchère a dépassé le million de dollars en 2022 – la Living Architecture de Refik Anadol à 1,5 M$ en mai –, contre 25 pièces l’année précédente. Le chiffre d’affaires total du segment atteint 13,9 M$ (contre 232,7 M$ en 2021, soit — 94 %). Cet effondrement s’explique assez largement par les crises en série que connaissent récemment les cryptoactifs, avec la chute des valeurs du bitcoin (– 63 %) et de l’ethereum (– 82 %), l’effondrement du terra, la faillite du STX, et maintenant celle de SVB (Silicon Valley Bank) qui conservait une partie des liquidités et assurait la stabilité de l’USDC. Le rapport se montre néanmoins enthousiaste pour le futur de cette technologie et note que certaines avancées technologiques mises en place par Ethereum sont de nature à « instaurer un nouveau climat de confiance, au moment où la plupart des grandes institutions artistiques se tournent déjà vers les NFT ». L’avenir le dira.

à lire
Le Marché de l’art en 2022, bilingue français et anglais, 75 pages. Gratuit.
www.artprice.com
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