Gazette Drouot logo print

Rapport Art Basel-UBS : The Art Market 2023, retour au calme

Publié le , par Carine Claude

Après la sidération de 2020 puis la frénésie de 2021, le marché de l’art reprend son rythme de croisière, avec une progression modérée de 3 %, et se stabilise autour des 67,8 Md$. Un retour « à la normale » qui masque de grandes disparités parmi les acteurs.

© Art Basel and UBS Art Market Report 2023 Rapport Art Basel-UBS : The Art Market 2023, retour au calme
© Art Basel and UBS Art Market Report 2023

C’est une surprise. Alors que le marché de l’art international a atteint les 67,8 Md$ en 2022, la Chine, qui s’était montrée particulièrement résiliente pendant la période Covid, dégringole en troisième position, derrière le Royaume-Uni, finalement moins affecté par le Brexit que prévu. Principaux bénéficiaires de cette reprise mondiale somme toute modérée – le marché de l’art progresse de seulement 3 % par rapport à 2021 –, les États-Unis ont donné la cadence tout au long de cette année de stabilisation, rythmée par des ventes de prestige et le retour en force des foires. À défaut de révolutionner le secteur, ces ajustements et ces corrections signent un retour à la normale tant attendu. Mais pas forcément pour tout le monde.

Une situation très contrastée
Passées au crible macroéconomique de The Art Market 2023, l’étude annuelle publiée le 4 avril dernier par Art Basel et UBS, ces observations rédigées sous la houlette de l’économiste Clare McAndrew analysent les effets persistants de la pandémie et dégagent quelques tendances à venir pour le marché de l’art dans son ensemble. Premier constat : si les ventes globales dépassent les niveaux prépandémiques, la situation à la loupe est beaucoup plus contrastée selon les secteurs, les régions et les segments de prix. La Chine en est l’illustration. Avec des ventes d’art en baisse de 14 %, elle enregistre son plus bas niveau depuis 2009 par un résultat global de 11,2 Md$. Pourtant, elle était portée depuis près d’une décennie par la croissance de son marché, de plus en plus ouvert aux artistes, acheteurs et opérateurs internationaux, jusqu’à devenir le leader mondial du secteur de l’art en 2021, dépassant là pour la première fois de son histoire les États-Unis. Les restrictions de la politique « zéro Covid » ont mis un coup de frein brutal aux activités du pays. Privées d’expositions de prévente, les enchères, en particulier, ont souffert. « Il aurait été difficile de faire des prédictions pour cette année », explique Clare McAndrew lors de la conférence de présentation de son rapport le 6 avril. Elle poursuit : « C’est une année mixte, avec un tableau très différent selon les régions et les segments du marché. Le pic de 2014 n’est pas atteint, mais il s’agit du deuxième meilleur résultat mondial sur une période allant de 2009 à 2022. Même si le marché retrouve aujourd’hui des niveaux prépandémiques, il recoupe des tendances et des réalités multiples. Par exemple, les performances régionales sont très différentes par rapport aux années précédentes. Le paysage n’est plus le même, y compris pour les gros acteurs. »

Le haut du panier
L’un des principaux moteurs de la croissance des valeurs dans tous les secteurs en 2022 a été les ventes dans le haut de gamme du marché, chez les galeristes comme en salles de vente aux enchères. La tendance n’est pas nouvelle. Vacations de prestige, dispersions de collections réputées et hypersélectivité composent désormais la règle d’or de nombreux opérateurs de ventes volontaires. « Le marché présente une double physionomie cette année. En 2020, tous les segments du marché se sont effondrés. En 2021, ils étaient tous à la hausse. Cette année, c’est le haut de gamme qui monte, tandis que les autres segments sont en baisse », précise Clare McAndrew. Le secteur « Fine Arts » des ventes aux enchères illustre parfaitement cette distorsion : les cessions d’œuvres d’art dont le prix est supérieur à 10 M$ ont augmenté de 12 %, tandis que pratiquement toutes les autres ont enregistré une baisse de valeur. À l’échelle des douze dernières années, ces œuvres millionnaires ont enregistré une croissance en valeur de près de 700 %, tandis que le segment inférieur, c’est-à-dire celles de moins de 50 000 $, a connu une augmentation beaucoup plus modérée, de 10 %. « Si l’on ajuste ces chiffres en fonction de l’inflation, on constate que le segment le plus élevé a plus que quintuplé sa taille au cours de la période, tandis que les ventes inférieures à 50 000 $ ont perdu de leur valeur », précise le rapport.

Les collections, toujours les collections
Le total réalisé par les maisons de ventes, le gré à gré compris, a été estimé à 30,6 Md$ : seulement deux points de plus qu’en 2021, mais une hausse de 11 % par rapport à l’année 2019, avant la pandémie. Le chiffre d’affaires du secteur des ventes publiques a légèrement baissé (de 1 %), pour atteindre 26,8 Md$, la croissance se limitant ainsi en grande partie au haut de gamme du marché. Ces stratégies orientées vers le haut du panier ont particulièrement porté leurs fruits aux États-Unis, où la reprise a été la plus vigoureuse. À New York, place forte du marché, les auctioneers ont enchaîné les vacations blockbusters. Christie’s en particulier, qui a réalisé 4,3 Md€ d’adjudications dans le pays en 2022, s’est illustrée en mai avec Shot Sage Blue Marilyn d’Andy Warhol, adjugé 195 M$ en mai, nouveau record pour une œuvre d’art du XXe siècle. La même maison tenait également le marteau lors de la retentissante dispersion de la collection Paul Allen — cofondateur de Microsoft décédé en 2018 —, et son résultat inédit de 1,6 Md$. Cinq œuvres y ont dépassé les 100 M$, et vingt-sept records d’artiste sont tombés en une seule vente. Du jamais vu. Un peu plus tôt dans l’année, Sotheby’s organisait celle de la collection Macklowe avec ses Rothko, ses Warhol et ses Pollock, cumulant un impressionnant 922 M€.

Chronique d’un flop annoncé ?
La grande déconvenue vient du côté des NFT. Porté aux nues en 2020, leur marché s’effondre de 50 % en valeur, sur fond de crise des cryptomonnaies. Mais la digitalisation du marché de l’art ne fera pas machine arrière. Représentant 16 % de son chiffre d’affaires en 2022, les ventes en ligne sont en baisse par rapport au pic de 25 % atteint en 2020. Cependant, il est indéniable que se poursuivra sa construction sur la Toile et sur les réseaux, comme l’explique Clare McAndrew : « La manière dont le marché de l’art s’est emparé du e-commerce est l’un des aspects les plus fascinants et l’une des conséquences les plus durables de la pandémie. De nombreux investissements ont été faits et les collectionneurs ont, au final, majoritairement tiré une expérience positive de ce passage au digital. C’est une forme d’acceptation sociale. D’ailleurs, de nombreux néo-collectionneurs ont acheté leurs premières œuvres directement en ligne et vont continuer. » Autre fait marquant : les foires sont revenues en force. « La croissance du marché de l’art a été largement catalysée par le retour du cycle événementiel des foires d’art, des ouvertures de galeries et des ventes aux enchères, ainsi que par les résultats dans le haut de gamme », résume Noah Horowitz, directeur général d’Art Basel. Alors que les marchands ne réalisaient que 27 % de leurs ventes lors des foires en 2021 – annulations et restrictions des déplacements obligeant –, leurs transactions lors de ces événements remontent à 35 % cette année. Un niveau encore inférieur à 2019 et ses 42 %, mais un écart qui se comble. Et des avions qui se remplissent, car il ressort du rapport que le volume des voyages des collectionneurs et des galeristes pour se rendre à ces événements retrouve son niveau de… 2019. Même dans le monde d’après, les habitudes ont la vie dure.

Gazette Drouot
Bienvenue, La Gazette Drouot vous offre 2 articles.
Il vous reste 1 article(s) à lire.
Je m'abonne