Après la sidération de 2020 puis la frénésie de 2021, le marché de l’art reprend son rythme de croisière, avec une progression modérée de 3 %, et se stabilise autour des 67,8 Md$. Un retour « à la normale » qui masque de grandes disparités parmi les acteurs.
C’est une surprise. Alors que le marché de l’art international a atteint les 67,8 Md$ en 2022, la Chine, qui s’était montrée particulièrement résiliente pendant la période Covid, dégringole en troisième position, derrière le Royaume-Uni, finalement moins affecté par le Brexit que prévu. Principaux bénéficiaires de cette reprise mondiale somme toute modérée – le marché de l’art progresse de seulement 3 % par rapport à 2021 –, les États-Unis ont donné la cadence tout au long de cette année de stabilisation, rythmée par des ventes de prestige et le retour en force des foires. À défaut de révolutionner le secteur, ces ajustements et ces corrections signent un retour à la normale tant attendu. Mais pas forcément pour tout le monde.
Une situation très contrastée
Passées au crible macroéconomique de The Art Market 2023, l’étude annuelle publiée le 4 avril dernier par Art Basel et UBS, ces observations rédigées sous la houlette de l’économiste Clare McAndrew analysent les effets persistants de la pandémie et dégagent quelques tendances à venir pour le marché de l’art dans son ensemble. Premier constat : si les ventes globales dépassent les niveaux prépandémiques, la situation à la loupe est beaucoup plus contrastée selon les secteurs, les régions et les segments de prix. La Chine en est l’illustration. Avec des ventes d’art en baisse de 14 %, elle enregistre son plus bas niveau depuis 2009 par un résultat global de 11,2 Md$. Pourtant, elle était portée depuis près d’une décennie par la croissance de son marché, de plus en plus ouvert aux artistes, acheteurs et opérateurs internationaux, jusqu’à devenir le leader mondial du secteur de l’art en 2021, dépassant là pour la première fois de son histoire les États-Unis. Les restrictions de la politique « zéro Covid » ont mis un coup de frein brutal aux activités du pays. Privées d’expositions de prévente, les enchères, en particulier, ont souffert. « Il aurait été difficile de faire des prédictions pour cette année », explique Clare McAndrew lors de la conférence de présentation de son rapport le 6 avril. Elle poursuit : « C’est une année mixte, avec un tableau très différent selon les régions et les segments du marché. Le pic de 2014 n’est pas atteint, mais il s’agit du deuxième meilleur résultat mondial sur une période allant de 2009 à 2022. Même si le marché retrouve aujourd’hui des niveaux prépandémiques, il recoupe des tendances et des réalités multiples. Par exemple, les performances régionales sont très différentes par rapport aux années précédentes. Le paysage n’est plus le même, y compris pour les gros acteurs. »
Le haut du panier
L’un des principaux moteurs de la croissance des valeurs dans tous les secteurs en 2022 a été les ventes dans le haut de gamme du marché, chez les galeristes comme en salles de vente aux enchères. La tendance n’est pas nouvelle. Vacations de prestige, dispersions de collections réputées et hypersélectivité composent désormais la règle d’or de nombreux opérateurs de ventes volontaires. « Le marché présente une double physionomie cette année. En 2020, tous les segments du marché se sont effondrés. En 2021, ils étaient tous à la hausse. Cette année, c’est le haut de gamme qui monte, tandis que les autres segments sont en baisse », précise Clare McAndrew. Le secteur « Fine Arts » des ventes aux enchères illustre parfaitement cette distorsion : les cessions d’œuvres d’art dont le prix est supérieur à 10 M$ ont augmenté de 12 %, tandis que pratiquement toutes les autres ont enregistré une baisse de valeur. À l’échelle des douze dernières années, ces œuvres millionnaires ont enregistré une croissance en valeur de près de 700 %, tandis que le segment inférieur, c’est-à-dire celles de moins de 50 000 $, a connu une augmentation beaucoup plus modérée, de 10 %. « Si l’on ajuste ces chiffres en fonction de l’inflation, on constate que le segment le plus élevé a plus que quintuplé sa taille au cours de la période, tandis que les ventes inférieures à 50 000 $ ont perdu de leur valeur », précise le rapport.