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Raphaëlle Ziadé, au chevet des icônes du Petit Palais

Publié le , par Christophe Averty

Spécialiste du patrimoine artistique des communautés chrétiennes d’Orient, la conservatrice des arts byzantins du Petit Palais vient de remporter le prix de La Gazette Drouot pour son livre aux éditions Citadelles & Mazenod.

© Ferrante Ferranti Raphaëlle Ziadé, au chevet des icônes du Petit Palais
© Ferrante Ferranti

Responsable, depuis 2008, de la plus importante collection d’icônes de France, présentée au musée du Petit Palais dans une salle spécialement dédiée depuis 2017, Raphaëlle Ziadé place la recherche au cœur de ses missions. Rattachée au laboratoire Orient Méditerranée, la conservatrice suscite échanges universitaires, colloques, séminaires et coopérations scientifiques, notamment avec le Terra Sancta Museum des franciscains, à Jérusalem, dont les travaux seront achevés en 2025. Dans le prolongement de son action, elle publie, aux éditions Citadelles & Mazenod, L’Art des chrétiens d’Orient, la toute première somme retraçant, des origines du christianisme à la chute de l’Empire ottoman, la diversité des techniques mises en œuvre dans les arts sacrés du christianisme oriental.

Le Petit Palais abrite la plus importante collection d’icônes de France. Comment s’est-elle constituée ?
L’ensemble de 120 œuvres et objets byzantins que nous conservons provient de deuxcollections, léguées au musée en 1902 et 1998. La première, issue de la donation de 20 000 œuvres due aux frères Eugène et Auguste Dutuit, comprend notamment des ivoires byzantins. Ces industriels du textile avaient pour projet de créer un musée des techniques gratuit pour l’enseignement des ouvriers et des artisans. C’est donc pour leur préciosité que ces objets byzantins d’ivoire et d’argent – dont une somptueuse croix éthiopienne – ont rejoint leur collection. Le second corpus provient quant à lui du legs de Roger Cabal, un particulier passionné par l’art orthodoxe : il avait rassemblé ces œuvres à partir des années 1970, à une époque où elles ne provoquaient qu’un intérêt d’initiés. Pour mettre en lumière cet ensemble qui propose une véritable traversée du XVe au XIXe siècle, des îles grecques aux Balkans, de l’Éthiopie à la Russie, le Petit Palais s’est doté d’un écrin, à la faveur du mécénat de la Fondation Sisley-d’Ornano, constituant aujourd’hui le seul espace muséal français permettant d’initier le public au christianisme oriental.

Comment s’intègre-t-il dans le parcours du musée ?
Situé à proximité des salles de peinture religieuse médiévale et Renaissance européenne, l’espace dédié aux icônes instaure un dialogue entre Orient et Occident. Il faut rappeler qu’au début du XXe siècle, on pensait que l’art chrétien était globalement occidental, et même romain. Or, le christianisme est une religion d’origine orientale. À la manière d’une crypte baignée d’une sourde lumière et de chants liturgiques, la scénographie de la salle des icônes s’inspire du bain sensoriel que procurent églises et iconostases, tout en mettant l’accent sur les écoles de peinture russe, crétoise et grecque, la Grèce étant alors passée dans le giron ottoman. Ici, les icônes sont à la fois présentées comme des objets d’art et des objets de culte. Cela en fait un outil pédagogique dont s’emparent les lycées, et qui vaut notamment à l’ensemble de ces œuvres d’être présentées au baccalauréat dans l’option histoire des arts.

 

La salle des icônes du musée du Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
La salle des icônes du musée du Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.


La transmission et la reconnaissance de cette collection sont-elles essentielles dans votre mission ?
Si l’appétit des lycéens pour cet espace est pour moi la plus belle reconnaissance, nous nous attachons à valoriser ce fonds en le rendant accessible à tous, notamment en favorisant nombre de prêts aux expositions temporaires. L’une de nos icônes emblématiques, la Mère de Dieu Glycophilousa, attribuée à l’atelier crétois d’Andreas Ritzos, est actuellement présentée dans l’exposition Bellini, au musée Jacquemart-André. De même, l’icône de la Création du monde ira au Louvre-Lens pour l’exposition « Paysage. Fenêtre sur la nature ».

Concevez-vous le musée comme un pôle scientifique et humaniste ?
Au-delà de ses missions culturelles, liées à ses propres collections, le musée peut être un lieu de coopérations et d’échanges d’expertise, et même une zone d’accueil pour des œuvres, soit pour être sauvées de zone de guerre, soit pour être restaurées. Pendant la guerre civile libanaise, le Petit Palais avait abrité des icônes rescapées des combats. Nous accueillons à nouveau une belle icône de la Dormition du patriarcat maronite, venue du Liban, actuellement exposée après une restauration menée dans nos murs grâce à la levée de fonds privés. À la faveur de l’étude scientifique menée à cette occasion, nous avons d’ailleurs pu dater l’œuvre de 1523 et découvrir que, contrairement à ce que l’on croyait, l’art de l’icône ne s’est pas interrompu à cette période. Cette nouvelle donne a enrichi, en la bouleversant, la chronologie de l’art de l’icône au Moyen-Orient. Dans le champ de l’art contemporain, dans le but de montrer la vitalité et l’influence des icônes sur l’imaginaire des artistes, le musée a acquis trois aquarelles du plasticien serbe Nikola Saric, établi en Allemagne, dont l’une a rejoint le parcours permanent. Évoquant l’assassinat de 21 ouvriers coptes égyptiens par des miliciens de Daech en 2015, l’œuvre reprend la symbolique et la technique d’une tradition ancienne. Cette acquisition exceptionnelle – qui déroge aux achats dont la borne théorique est fixée à 1914 – montre combien l’art de l’icône reste vivant et peut même répondre à une actualité en créant une image de saints à partir d’un événement récent, filmé et posté sur les réseaux sociaux.

 

École crétoise, La Mère de Dieu Glycophilousa, entre 1500 et 1520, tempera et or sur bois, 38,5 x 27,2 cm, Petit Palais, musée des Beaux-A
École crétoise, La Mère de Dieu Glycophilousa, entre 1500 et 1520, tempera et or sur bois, 38,5 x 27,2 cm, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
CCØ Paris Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris


À l’instar de la salle des icônes, votre ouvrage cultive-t-il lui aussi transversalité et engagement ?
Il participe d’un parcours scientifique où interviennent, en complément de l’histoire de l’art, différentes disciplines, comme l’archéologie et la philologie, et une connaissance du terrain. C’est une synthèse résolument pluridisciplinaire qui embrasse mes projets scientifiques et la prise de conscience d’un danger qui court tout au long de l’histoire des icônes au Moyen-Orient, réactivé avec la guerre en Syrie et les événements de 2014. Sous-estimer l’art chrétien de cette région dans l’histoire de l’art constitue un frein à la protection de ce patrimoine. L’Art des chrétiens d’Orient correspond à huit ans de recherches, de rencontres avec des équipes internationales, de repérages des collections encore sur place. Mon propos a notamment été d’ouvrir notre regard à ce qui n’était pas dans les musées occidentaux, en l’occurrence le patrimoine relevant de l’Empire ottoman, resté en possession des communautés religieuses, dans les églises et chez des collectionneurs qui habitent encore la région. Cette synthèse permet de connaître les différentes typologies, dont nombre d’inédits, et les différents sites où les œuvres sont conservées.

L’art de l’icône tient-il d’un fait de civilisation ?
Depuis son apparition, sans doute vers le IVe siècle, cet art s’est perpétué indépendamment du fait que les populations du Proche-Orient sont devenues des minorités au sein de l’islam à partir du VIIe siècle. Malgré les vicissitudes de l’histoire, ces images ont perduré, et leur importance culturelle dépasse leur signification religieuse. En effet, elles offrent une grande stabilité et des repères à ces communautés en traversant, avec elles, les événements historiques et les changements de pouvoir advenus au cours des siècles. Les communautés chrétiennes du Proche-Orient ont en commun d’avoir adopté la langue arabe en gardant le souvenir de leurs langues originelles (syriaque, grec, copte), puisant elles-mêmes à des civilisations antérieures. Au-delà même de la religion, les chrétiens d’Orient sont des passeurs de cultures fort anciennes, qui perdurent notamment au travers des arts sacrés.

à lire
Raphaëlle Ziadé, L’Art des chrétiens d’Orient. De l’Euphrate au Nil, Citadelles & Mazenod,
592 pages, 600 ill., 215 €.
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