Douze ans après sa création, l’association Fetart défend toujours la jeune création photographique européenne, avec son festival annuel qui se tient au Centquatre, mais cherche encore son modèle économique.
Quand Fetart a débarqué dans le monde de la photographie culturelle, les premières réactions ont été partagées», se souvient Marion Hislen, qui a créé cette association reconnue d’intérêt général en 2005 avec Valérie Lambijou : «Nous n’étions pas prises au sérieux, ou on nous ignorait tout simplement.» Douze ans plus tard, les choses ont bien changé. L’objectif de départ qui est de révéler des photographes émergents et de leur permettre de s’insérer dans la vie professionnelle, en leur offrant l’occasion d’exposer pour la première fois, est atteint. Les chiffres sont éloquents : plus de quatre cents artistes français et européens ont été présentés dans une quarantaine d’expositions.
Fetart, un état d’esprit
Le plus surprenant est que l’association est animée par une équipe de bénévoles, essentiellement des filles, d’où le surnom d’«amazones» qui leur est donné, et qui convient bien à leur esprit guerrier. Car pour en arriver là, il a fallu se battre, raconte Marion Hislen : «Nous avons commencé avec 200 euros. Les premières expositions se sont déroulées dans des lieux éphémères : d’abord des squatts d’artistes dans le XXe arrondissement, puis une présence dans les off d’événements incontournables, comme le Mois de la photo à Paris ou les Rencontres d’Arles.» Dès le départ, Fetart revendique sa singularité en opérant des choix esthétiques «hors des sentiers battus et des discours officiels, revendiquant sa liberté de regard», rappelle encore Marion. De quoi bousculer les idées reçues et surtout, apporter une fraîcheur et faire souffler un vent de légèreté dans le paysage figé des institutions culturelles de la spécialité. Nouveau visage, nouvelle génération, nouveau ton : Marion Hislen n’a pas sa langue dans sa poche. Elle est directe, mais reste toujours souriante. De l’énergie et de la volonté, elle en a à revendre et ne s’économise pas pour donner corps à ses convictions.
Circulation(s), un rendez-vous annuel
En 2011, la création du festival Circulation(s) est un tournant pour Fetart. Ses trois premières éditions se déroulent dans les jardins de Bagatelle, en bordure de Paris. Puis, signe que la manifestation est prise au sérieux, elle s’installe au Centquatre, dans la capitale. Le succès est quasi immédiat : avec ce rendez-vous annuel, Fetart rencontre un large public, au-delà des habitués des expositions et des professionnels : 50 000 visiteurs en 2016, dont la moitié a payé son billet d’entrée, une partie de la manifestation restant accessible gratuitement. Ce succès se double d’une reconnaissance de la part de la presse et des professionnels, qui ont pris la mesure de l’envergure et du professionnalisme de l’événement. Car Circulation(s), ce sont cinquante artistes exposés chaque année, mais aussi des studios photo organisés tous les week-ends, un parcours pour les enfants intitulé «Little
Circulation(s)», dans lequel les photos sont présentées à leur hauteur, une résidence d’artiste, une exposition hors les murs à l’hôtel Fontfreyde de Clermont-Ferrand, des lectures de portfolios, des conférences, des lieux associés… Ce dynamisme se double d’une capacité à créer un réseau, à travers différentes initiatives : en faisant des échanges de programmation avec des institutions et des festivals européens Portugal, Italie, Lituanie, Pologne, Géorgie… ou en invitant un parrain prestigieux à participer à la programmation de Xavier Cannone, directeur du musée de la Photographie de Charleroi (Belgique), à agnès b., styliste, galeriste et collectionneuse, en passant par Hercules Papaioannou, directeur du musée de la Photographie de Thessalonique (Grèce). Fetart peut également se targuer d’avoir découvert de nombreux artistes. Témoins : Kourtney Roy, qui a reçu ensuite le prix de la Carte blanche PMU au Bal, Lucie & Simon (Brodbeck & de Barbuat), qui deviendront lauréats du prix HSBC pour la photographie et sont cette année pensionnaires de la villa Médicis, Maia Flore, aujourd’hui à l’agence et à galerie VU’, Patrick Willocq, à la galerie Baudoin Lebon… À la fois laboratoire de la création photographique contemporaine européenne et vivier de nouveaux talents, Circulation(s) est un formidable défricheur. Le secret de fabrication ? La programmation est issue d’une sélection effectuée après un appel à candidatures. D’année en année, elles sont plus nombreuses, pour avoisiner les mille dossiers en 2017.
Reconnaissance et notoriété, mais…
Paradoxalement, ce succès et cette légitimité acquise au fil des ans ne riment pas avec prospérité et pérennité. L’association n’est pas parvenue à professionnaliser le festival, qui continue de fonctionner uniquement avec des bénévoles : «Notre modèle économique est basé sur 22 % de subventions, le reste provenant de fonds propres et de partenaires privés. Le principe du bénévolat ne peut plus être appliqué, parce qu’il ne nous permet plus de nous développer. Nous devons donc dégager des moyens pour financer une équipe», explique Marion Hislen, bénévole elle aussi. Depuis plusieurs années, les initiatives ont été nombreuses pour professionnaliser la manifestation : ouverture d’une billetterie, création d’une galerie en ligne pour vendre les œuvres exposées, location d’expositions, crowdfunding… mais ce n’est pas suffisant. Cette difficulté remet en cause l’existence même du festival. «Rien n’est sûr pour l’année prochaine», conclut sa directrice. Ce qui serait dommage car, au-delà du fait que Circulation (s) est le seul festival dédié à la jeune création européenne, il est aussi le dernier consacré à la photographie à Paris depuis l’arrêt de Photoquai.
Trois coups de coeur dans cette édition 2017
En attendant, Circulation(s) bat son plein et réserve cette année encore son lot de découvertes. Parmi la cinquantaine d’artistes présentés, citons Sasha Maslov, un photographe américano-ukrainien, et sa série «Veterans : Faces of World War II» : un ensemble de portraits de vétérans de la Seconde Guerre mondiale, réalisés chez eux dans de nombreux pays à travers le monde Japon, États-Unis, Italie, Pologne, Allemagne… Simples soldats, gradés ou ingénieurs, femmes ou hommes, ils sont les derniers témoins de cet événement historique. C’est la raison pour laquelle, aux images, Sasha Maslov ajoute leurs témoignages. À voir également, le travail du Britannique Sam Ivin qui, avec «Lingering Ghosts», aborde les difficiles conditions de vie des migrants en transit dans des camps de réfugiés anglais avant d’obtenir des papiers, sésame indispensable pour travailler et circuler. Une galerie de portraits, dont la pellicule est grattée pour faire disparaître en partie les visages. Un geste qui n’a rien de gratuit, puisqu’il signifie la difficulté d’être lorsqu’on n’a plus d’identité… Citons enfin la Française Poline Harbali, qui, avec «Le Damas des autres», raconte ses origines syriennes à travers des photographies de famille sur lesquelles elle peint ou dessine, comme pour se réapproprier ses souvenirs, à l’heure où il lui est impossible de se rendre dans le pays. De manière générale, la sélection présente des travaux empreints de gravité, signe que les tourments du monde actuel préoccupent la jeune génération.