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Quand Sade entre en scène

Publié le , par Vincent Noce
Vente le 15 juin 2016 - 14:00 (CEST) - Salle 2 - Hôtel Drouot - 75009

Sade hors de Sade, la vente d’archives de la famille du marquis, prévue le 15 juin à Drouot, jette des feux inattendus sur la vie mouvementée de l’écrivain, mais aussi sur son théâtre, trop longtemps demeuré méconnu.

Contrat de mariage entre le marquis de Sade et Mlle Renée-Pélagie Cordier de Montreuil,... Quand Sade entre en scène
Contrat de mariage entre le marquis de Sade et Mlle Renée-Pélagie Cordier de Montreuil, extrait du 20 fructidor an III, par Laroche, successeur de Fortier, bi-feuillet in-8°, deux premières pages manuscrites.
Estimation : 2 000/3 000 €.

Mis en vente par les descendants du marquis de Sade, les cent lots proviennent notamment de l’héritage ayant échappé à la dispersion et à l’autodafé de ses écrits, ordonné à sa mort. Ils mettent en lumière une personnalité différente de celle connue du grand public, un Sade sans le sadisme pourrait-on dire. Comprenant le texte de six pièces, le catalogue rappelle sa passion pour le théâtre, qui ne l’a jamais quitté, de sa découverte au collège Louis-le-Grand jusqu’à ses dernières années, passées à l’asile de Charenton. Ponctué de reconnaissances de dettes, ce catalogue de lettres, de notes, de procurations, d’actes officiels et de listes de courses peut se lire comme une vie en pointillé. On voit défiler son père, le comte de Sade, et son oncle abbé, qui initièrent, semble-t-il, le jeune homme au libertinage. On entrevoit la silhouette d’une sœur aînée, morte à deux ans. Y figure une liste de «demoiselles françaises», quatre-vingt-onze en tout, de 15 à 45 ans, destinée au mariage du jeune Donatien. Mais les écarts du fils et du père ne facilitent pas la mission. Le lot 13 (estimation 3 000/4 000 €) est un extrait du contrat de mariage conclu finalement en 1763 avec Renée-Pélagie Cordier de Montreuil  dont le nom n’apparaît pas sur la première liste.
 

L’Union des arts ou les Ruses de l’amour 1810, manuscrit complet, 315 pages, relié grand in-4°, titre à la main sur le premier plat. Estimation : 50 0
L’Union des arts ou les Ruses de l’amour 1810, manuscrit complet, 315 pages, relié grand in-4°, titre à la main sur le premier plat.
Estimation : 50 000/60 000 €.

Au château de La Coste
La dot de 300 000 livres apportée par la jeune fille sera bien entamée par un mari dispendieux, qui s’attache notamment à la restauration du château de La Coste, en Provence, où il fait construire un théâtre et installe une troupe. La fortune de l’épouse sera engloutie par les dettes de jeux et les procès du marquis. Dès 1771, son beau-père doit parapher une reconnaissance de dette de 30 000 livres. S’ensuit un petit mot rédigé à la hâte par Sade, au moment où il doit s’enfuir en Italie (5 000/6 000 €), recommandant de dissimuler un écrit avant l’arrivée de la police. Sade est accusé d’empoisonnement, pour avoir distribué des pilules aphrodisiaques à des filles de Marseille. L’enfermement hante alors les articles du catalogue. Six lettres de prison sont adressées à son épouse, l’écrivain disant tout le mal qu’il pense de sa belle-mère, qui a contribué à le faire enfermer, et reprochant à la fille de s’être laissée «gâter le cœur». Sa femme, pourtant, n’a jamais cessé de l’aider par tous les moyens. Les billets témoignent des conditions d’emprisonnement d’un noble, qui fait venir dans son logement couturier, tapissier, encadreur. Il se plaint de la pommade expédiée par son épouse et de ses pastilles, qu’il a dû renvoyer. Une demande de bouteilles de vin est rayée. De la tour du fort de Vincennes, il réclame «douze des romans nouveaux», le Décaméron et 18 volumes d’une histoire de l’Angleterre. La bibliothèque du prisonnier compte six cents ouvrages. Il passe son temps à lire et écrire, des textes érotiques qui vont faire sa célébrité, mais d’abord des contes et nouvelles pleins d’humour, ainsi que des pièces de théâtre, qu’il fait recopier par des secrétaires.

 

Une pièce de cinq heures entrecoupée de passages musicaux

Tapis, coussin et théâtre
Le chapitre le plus riche de la vente porte sur cette création, à laquelle il accordait une grande importance et qui fut pourtant longtemps occultée. À cette époque, le théâtre, souligne Michel Delon, qui a rassemblé ses textes pour la Bibliothèque de la Pléiade, constitue «d’abord une pratique sociale aristocratique. Les grandes familles se font aménager des salles de spectacle dans leur château et ne refusent pas de monter sur scène. Sade est également fasciné, comme nombre de ses contemporains, par le monde des comédiennes, souvent entretenues par de riches seigneurs. Lui-même a des maîtresses qui sont femmes de théâtre. Il n’échappe pas à cette ostentation sociale.» Le marquis voit aussi dans la production théâtrale, selon sa propre expression, le «meilleur moyen d’être connu de tous rapidement». Ce besoin de trouver un revenu et une reconnaissance sociale tourne cependant à l’échec. De toutes les pièces qu’il propose à la Comédie-Française, une seule est acceptée (Le Misanthrope par amour), qui lui sera renvoyée sans être jamais jouée… Son écriture reste marquée par les codes de l’époque. Même s’il s’en plaint, il se plie aux intrigues fixées à vingt-quatre heures, nouant et dénouant des jeux de masques, des confusions d’identité et les méprises qui en découlent. Le XVIIIe siècle raffole de ces jeux. À l’instar d’un Molière, il dénonce la tyrannie des pères sur les épouses et les filles. Il aborde aussi les relations incestueuses. Mais, au dénouement, les amoureux se rendent compte qu’ils ne sont pas apparentés  ce retournement extravagant étant aussi un procédé usuel de l’époque. La morale est sauve, mais l’auteur en profite pour évoquer le conflit opposant «les voix du cœur et de la nature», pour reprendre ses termes, au pouvoir de la famille et de la société. Libre, Sade court les théâtres. Enfermé, il se fait livrer les dernières pièces et les gazettes pour se tenir au courant d’une création qui s’ouvre à une plus grande liberté. «La crise du modèle classique, souligne Michel Delon, fait naître de nombreux genres nouveaux», des spectacles admis dans les foires à ceux joués sur les boulevards, l’écrivain appréciant tout autant «les effets spectaculaires des féeries-pantomimes que le pathétique larmoyant des drames bourgeois». Délivré de la prison sous la Révolution, le marquis s’efforce de survivre comme homme de lettres et cherche à faire jouer ses pièces, sans grand succès. Il ne renoncera pourtant jamais à cette forme d’expression. À Charenton, où il est interné de 1803 jusqu’à sa mort, le directeur, François Simonet de Coulmier, qui y voit une forme de thérapeutique, consent à le laisser en monter avec des malades et des comédiens.

 

Le Mysanthrope par amour Comédie en cinq actes et en vers libres, avec des entr’actes en action, copie de la fin du XVIIIe siècle, 1 vol. in-4°, 74 pa
Le Mysanthrope par amour Comédie en cinq actes et en vers libres, avec des entr’actes en action, copie de la fin du XVIIIe siècle, 1 vol. in-4°, 74 pages manuscrites.
Estimation : 15 000/18 000 €.

L’illusion théâtrale
Les représentations sont ouvertes à un public parisien. Mais un nouveau médecin en chef, le docteur Royer Collard, dénonce auprès du ministre de la Police la «corruption» des aliénés par cet homme pris «du délire du vice». En 1813 sont ordonnées l’interdiction des spectacles et la mise au secret de l’écrivain, avec, de plus, la privation de plume, d’encre et de papier. Soulignant la place du théâtre dans la relecture qu’elle a proposée de Sade, Annie Le Brun évoque notamment La Ruse d’amour, une pièce de cinq heures qu’il a conçue à la Bastille, dans laquelle s’emboîte une série de six spectacles, par laquelle il bouscule les conventions et « se montre maître de l’illusion théâtrale». Sade ne se contente pas des spectacles joués dans l’asile, renchérit Michel Delon, il se passionne pour cette technique illusionniste à un moment où la scène se sépare de la salle, qui devient le quatrième mur : «Les acteurs jouent comme si les spectateurs n’étaient pas là, on assoit le parterre qui s’assagit, on plonge la salle dans l’obscurité. La rampe sépare la réalité sociale d’une autre réalité, qui devient celle des désirs et des hantises». Il y voit donc un point de jonction avec les romans que le marquis publie anonymement, dans lesquels «ses libertins recourent à des dispositifs théâtraux pour s’isoler de la vie quotidienne, pour échapper à la loi et au principe de réalité», devenant «spectateurs de leurs fantasmes en train de se réaliser».

 

Le Capricieux Comédie en cinq actes et en vers, 1 vol in-8°, [156] pages manuscrites. Estimation : 30 000/40 000 €.
Le Capricieux Comédie en cinq actes et en vers, 1 vol in-8°, [156] pages manuscrites.
Estimation : 30 000/40 000 €.
 
Sade
en 4 dates
1740   Naissance à Paris de Donatien Aldonse. Son prénom sera systématiquement mutilé, même dans les documents d’époque.
1777 Incarcération au donjon de Vincennes. Sade restera privé de liberté jusqu’en 1790. C’est à la Bastille qu’il écrit Les Cent Vingt Journées de Sodome.
1814  Décès à l’asile de Charenton, où il est interné depuis plus de dix ans.
2015   Exposition «Attaquer le soleil» au musée d’Orsay à Paris.
mercredi 15 juin 2016 - 14:00 (CEST) - Live
Salle 2 - Hôtel Drouot - 75009
Tessier & Sarrou et Associés
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