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Quand le Centre Pompidou s’internationalise

Publié le , par Sarah Hugounenq

Alors que la chaîne Guggenheim se rouille, le Centre Pompidou confirme son prestige, de Malaga à Bruxelles, en passant par Shanghai. Se jouant des enjeux économiques et politiques, Serge Lasvignes impulse une vision personnelle à cette expansion effrénée.

Vue du Cubo décoré par Daniel Buren, Centre Pompidou Málaga. Quand le Centre Pompidou s’internationalise
Vue du Cubo décoré par Daniel Buren, Centre Pompidou Málaga.
© Sarah Hugounenq


Face à la galerie Gagosian à New York, Paris, Londres, Genève, Athènes, Rome et Hong Kong, ou aux succursales américaines de foires comme Art Basel Miami ou Frieze New York, les musées font souvent pâle figure. L’une des rares institutions à se risquer au jeu de la mondialisation est le Centre Pompidou. Depuis un premier coup d’éclat en 2015, où Alain Seban, alors président de l’institution, implantait une antenne provisoire à Malaga, le mouvement s’accélère ces dernières semaines sous la férule de son successeur, Serge Lasvignes. À la mi-décembre, il signait un partenariat avec Bruxelles, tandis que début janvier, le président de la République entérinait l’arrivée du musée à Shanghai pour 2019. Doit-on y voir un mouvement à marche forcée sous la pression de l’internationalisation de l’art contemporain et son marché ? «S’enfermer dans un bastion sur un territoire, en pensant que seule la force de nos œuvres peut assumer notre avenir est un contre-sens», rappelle en fulminant le chef de l’établissement, avant d’assumer une «diffusion hors de nos frontières, où nous bénéficions d’une grande liberté, et d’une image de modernité à la fois détendue et transgressive».
 

Vue de l’exposition semi-permanente «Utopies modernes», Centre Pompidou Málaga.
Vue de l’exposition semi-permanente «Utopies modernes», Centre Pompidou Málaga.© Sarah Hugounenq


Antennes versus partenariats
D’aucuns diront que l’exportation de la marque Pompidou était courue d’avance et que Serge Lasvignes hérite d’un choix politique déjà ratifié avant son arrivée aux manettes. Pourtant, l’actuel patron imprime bel et bien sa marque. Là où Alain Seban misait sur un modèle unique, reproductible à l’infini, Serge Lasvignes se défend d’essaimer des succursales de par le monde. «Ce ne sont pas des antennes, ce sont bien des partenariats», affirme-t-il. Inauguré au printemps 2015 par l’ancienne présidence, le Centre Pompidou de Malaga profitait de la volonté du maire d’asseoir sa ville au premier rang des destinations culturelles européennes. L’arrivée du musée français sur le port a préparé le terrain au musée russe de Saint-Pétersbourg quelques semaines plus tard, et au musée municipal des beaux-arts, rouvert en 2016 après sept ans de fermeture. Dans les faits, Pompidou Malaga est une transposition internationale de l’éphémère formule du Pompidou Mobile, qui parcourut les routes de France de 2011 à 2013 et dont l’inconvénient, unique mais rédhibitoire, fut le coût, à la charge des collectivités hôtes. L’écueil semble se vérifier dans la capitale andalouse qui consacre une enveloppe de sept millions d’euros, divisée entre l’institution française qui en capte les deux tiers  comprenant la redevance annuelle de deux millions d’euros  et les musées russe et Picasso, qui se partagent le tiers restant. En pendant, les résultats de fréquentation sont proportionnellement inversés : le musée Picasso attire une moyenne de 400 000 visiteurs annuels ; le Centre Pompidou plafonne à 499 000  personnes cumulées sur deux ans et demi. En marge de l’inauguration, en novembre, de la dernière présentation semi-permanente des collections, avant échéance du contrat avec la cité espagnole en 2020, Serge Lasvignes dressait le bilan : «À compter de 2020, l’idée est de maintenir notre accompagnement mais sous une autre forme, probablement plus légère. Ce premier essai est un laboratoire de ce que nous pouvons faire et proposer.» L’idée est lancée : le musée jouera désormais la carte du «sur mesure». Si, à Malaga, le Centre Pompidou est prié d’accroître l’attractivité d’un territoire par la modernité que véhicule son image, à Bruxelles, il se fait l’intermédiaire au milieu des dissensions politiques locales. Après avoir essuyé de nombreux échecs, la capitale belge entend s’appuyer sur les collections et l’expertise de l’établissement hexagonal pour fonder un musée d’art contemporain dans un ancien garage Citroën. «Par notre ouverture aux autres, nous avons ici un rôle de facilitateur et de catalyseur, qui doit permettre de débloquer la situation entre des institutions locales qui ont du mal à discuter entre elles», nous confie Serge Lasvignes. L’achat pour 20,5 millions d’euros, par la région Bruxelles-Capitale, de la chaîne historique de montage des DS et autres tractions pour y installer les collections fédérales, remisées à la cave depuis l’ouverture du musée «Fin de siècle» en 2013, n’avait pas prévu la frilosité du gouvernement à déposer sa collection dans un garage. Sans œuvres, mais avec un formidable espace industriel de 37 000 m2, la région conçoit le Centre Pompidou comme un tremplin pour lancer un pôle artistique pluridisciplinaire. Qui mieux que l’institution, fondée comme espace culturel transdisciplinaire, et cultivant contre vents et marées cette identité hybride, pouvait remplir la mission ? Résultat, pendant dix ans, Paris prêtera ses collections, concevra des expositions temporaires et mènera une mission de conseil et d’assistance pour l’acquisition des collections permanentes du futur musée. À Malaga, Paris pilotait tout, de la signalétique à la programmation. Mais à Bruxelles, sa présence devrait être moins affichée, au profit de la fondation Kanal, gestionnaire des lieux. Le choix de la capitale belge est aussi plus stratégique, à la fois pour se rappeler au bon souvenir de l’important vivier de collectionneurs d’art contemporain  en grande partie français , mais aussi comme un appel du pied aux instances européennes. «Nous voulons faire vivre la construction européenne, dont l’approche culturelle est cruciale», remarque Serge Lasvignes. Derrière le discours politique, l’objectif avoué est de faire naître d’autres échos ailleurs sur le continent, et d’estampiller le Centre Pompidou comme une marque européenne en vue d’investir d’autres horizons.

 

Projet pour la future implantation du Centre Pompidou à Shangai.
Projet pour la future implantation du Centre Pompidou à Shangai.© WBAM


Capter les classes moyennes chinoises
De même, le partenariat quinquennal signé en juillet avec l’entreprise publique West Bund Group, qui prévoit l’ouverture d’un Centre Pompidou Shanghai sur 25 000 m2 début 2019, répond encore à une autre dynamique, mais toujours stratégique. «À Shanghai, ce qui intéresse n’est pas seulement la force de notre collection, mais nos savoir-faire pour la présenter, réaliser des expositions, créer des ateliers pédagogiques…, précise Serge Lasvignes. Nous pouvons donc jouer un rôle important dans un pays où les musées qui s’ouvrent en nombre chaque année sont encore des “pionniers”, où le public des musées n’est pas encore véritablement construit.» C’est justement cette classe moyenne en pleine expansion que vise le Centre. Il espère ainsi se faire identifier sur place et tenter un jour de renverser la tendance par laquelle les étrangers constituent seulement 40 % de la fréquentation des salles parisiennes. L’autre spécificité de cette implantation asiatique est la possibilité de pouvoir mieux connaître, et donc d’acquérir la scène émergente locale, grâce aux contacts noués sur place. C’est dans cette même perspective que le président lorgne désormais vers le continent africain, pour lequel il prédit de futurs partenariats avec des entreprises. Le musée retire pour chaque nouveau projet des redevances sonnantes et trébuchantes  deux millions d’euros par an par projet  qui lui permettent de dresser un budget prévisionnel de revenus fixes sur plusieurs années, palliant ainsi la chute des subventions publiques ; mais Serge Lasvignes quant à lui, pousse le modèle plus loin que son immédiate rentabilité. Plus que des succursales lucratives et diplomatiques, ces implantations sont des graines plantées pour asseoir des coopérations privilégiées à long terme avec les acteurs locaux. Gageons cependant que l’arroseur ne devienne pas arrosé, en semant ainsi les conditions de possibilité de ses futurs concurrents.

 

Pôle culturel Citroën à Bruxelles, où doit s’installer la fondation Kanal-Pompidou.
Pôle culturel Citroën à Bruxelles, où doit s’installer la fondation Kanal-Pompidou.

À voir
«Utopías modernas» («Utopies modernes»), Centre Pompidou Málaga,
Pasaje Doctor Carrillo Casaux, s/n, Muelle Uno, Puerto de Málaga, tél. : +34 951 926 200.
www.centrepompidou-malaga.eu
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