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Quand l'Afrique s'éveillera

Publié le , par La Gazette Drouot

Les artistes contemporains africains constituent un vivier prometteur, à ne pas négliger. Le critique d’art Roger Pierre Turine pointe avec nous les talents émergents... À suivre.

Pascale Marthine Tayou (né en 1967), «Always All Ways», vue de l’exposition au musée... Quand l'Afrique s'éveillera
Pascale Marthine Tayou (né en 1967), «Always All Ways», vue de l’exposition au musée d’art contemporain de Lyon, jusqu’au 15 mai. Pascale Marthine Tayou, Plastic Bags, 2010.
© Courtesy Galleria Continua San Gimignano / Beijing / Le Moulin © Stéphane Rambaud © Adagp, Paris, 2011

Alors que l’art cultuel africain a nourri des générations d’artistes occidentaux, on parle assez peu des talents contemporains de ce continent. Si, aux dires des spécialistes, ils représentent un beau potentiel créatif, il reste difficile de les repérer. Révélés lors de la remarquable exposition «Magiciens de la Terre,» en 1989, dont le commissaire était pour la partie Afrique l’historien d’art André Magnin, les artistes de ce vaste continent sont peu nombreux à avoir droit à une reconnaissance ou même à la possibilité de montrer leur travail. Aux côtés de l’Ivoirien Frédéric Bruly-Bouabré ou du Malien Seydou Keïta, quelques-uns seulement, africains ou d’origine africaine, sont parvenus à une stature internationale. On peut citer par exemple William Kentridge et Marlene Dumas (Afrique du Sud), Barthélémy Toguo, Joseph-Francis Sumégné et Pascale Marthine Tayou (Cameroun), Ousmane Sow (Sénégal), Chéri Samba (RDC). On peut ajouter à cette microliste des artistes comme Dilomprizulike (Nigeria), El Anatsui (Ghana), Malick Sidibé et Abdoulaye Konaté (Mali), Bodys Isek Kingelez (RdC), Romuald Hazoumé, Georges Adeagbo et Meshac Gaba (Bénin). Pourtant, malgré un manque de visibilité indiscutable, certains collectionneurs investissent avec passion. On les comprend ! Le talent de ces artistes est indéniable et... la progression de leur cote peut laisser rêveur.

Une collection boulimique
Longtemps rangé au rayon des denrées «exotiques», l’art contemporain d’Afrique est en train de conquérir un autre statut. À cet égard, Roger Pierre Turine (1) juge essentiel l’impact de l’exposition «Magiciens de la Terre», organisée à Beaubourg et à La Villette, première manifestation à présenter une forme d’états généraux de l’art mondial. Aux côtés de Jean-Hubert Martin, André Magnin eut à cœur de montrer la vitalité des artistes africains. Sa sélection bouleversa Jean Pigozzi. Ce mécène, héritier de Simca, lui-même photographe, demanda à Magnin de le conseiller pour créer sa collection. Le butin de la chasse sera de... 12 000 pièces ! La collection de Jean Pigozzi, considérée comme une référence, a donné lieu à des expositions. (2) André Magnin poursuit ailleurs son rôle de «découvreur», et son action a largement contribué au succès d’artistes comme Chéri Samba, Kingelez, Malick Sidibé ou Romuald Hazoumé. Ce dernier a été le premier Africain à recevoir le prix Arnold-Bode à la Documenta 12. Premier contemporain à être exposé au musée du quai Branly, il y présentait une installation de bidons qui devint par la suite propriété du British Museum. Parmi les personnes qui «comptent», Roger Pierre Turine cite Simon Njami – l’un des animateurs de Revue noire – pour la photographie et Okwi Enwezor, qui fut le directeur artistique de la Documenta 11. L’Américain d’origine nigériane s’est taillé une solide réputation dans le milieu artistique. C’est lui qui devrait prendre les rênes de la nouvelle édition de la Force de l’art, en 2012, au palais de Tokyo.
En Afrique, les Rencontres de Bamako, créées en 1994, ont certainement contribué à rompre l’isolement dont souffraient les photographes africains. Roger Pierre Turine souligne, pour sa part, l’importance de la Biennale de Dakar, née six ans après l’exposition parisienne et consacrée exclusivement aux artistes africains. Même si cette manifestation a connu des hauts et des bas, elle a eu au moins le mérite de mettre en évidence l’extraordinaire vitalité d’artistes qui, reconnaît R.-P. Turine, cherchent les moyens de «faire une percée sur le marché»… Difficilement : peu de mobilisation «du côté francophone, contrairement à ce qui se passe chez les Anglo-Saxons», commente-t-il. Peu de lieux en France montrent le travail des artistes d’origine africaine. Beaubourg a présenté en 2005 «Africa Remix». Le musée du quai Branly accueille de temps à autre l’un d’eux. Le musée Dapper associe toujours un artiste contemporain à ses expositions annuelles – actuellement, l’Angolais António Ole. Les galeries parisiennes, hormis Lelong et Agnès b., sont rares à leur proposer leurs cimaises. Idem en Belgique, où seul Wallonie-Bruxelles International œuvre à mettre en valeur les créateurs émergents du Bénin, du Burkina Faso, du Sénégal et du Congo. À noter, à Bruxelles, l’existence de Nomad Gallery, qui confronte art d’Afrique et création occidentale, et le Fine Art Studio, qui défend l’artiste béninois Zinkpè.
Quelques initiatives locales se mettent en place : à Cotonou, au Bénin, la famille mécène Zinsou a ouvert une fondation il y a six ans. Non seulement ce centre d’art accueille et expose les créateurs, mais il a la vocation pédagogique d’offrir aux enfants une découverte des expressions artistiques contemporaines. Certains artistes prennent aussi les choses en main, tel Barthélémy Toguo, qui a ouvert un centre d’art dans son village de Bandjoun, au Cameroun.

Barthélémy Toguo (né en 1967), Purification XV, 2007, aquarelle sur papier. 100 x 105 cm.© Courtesy galerie Lelong, photo Fabrice Gibert
Barthélémy Toguo (né en 1967), Purification XV, 2007, aquarelle sur papier. 100 x 105 cm.
© Courtesy galerie Lelong, photo Fabrice Gibert

Quelques pistes
L’art contemporain africain a su s’émanciper de l’art traditionnel sacré, tout en évitant les pièges d’un art métis, de mise à l’issue d’une décolonisation intervenue, pour la plupart des nations, dans les années 1960. Roger Pierre Turine a constaté que suivant les pays, il existait ou non des artistes. Une réalité qui n’est aucunement fonction du passé, riche ou pas. Si le Cameroun, le Nigeria, le Bénin sont très productifs, c’est loin d’être le cas pour la Guinée, le Gabon, le Burkina Faso...
Au cours de ses pérégrinations Roger Pierre Turine a pu repérer des talents à suivre. Au Bénin, Dominique Zinkpè est l’un des artistes émergents à soutenir. Il recommande quelques Congolais : Vitshois Mwilambwe – 28 ans, multidisciplinaire, retenu par la Rijksakademie d’Amsterdam –, Kura Shomali (dessin) et Pathy Tshindele (peinture et sculpture) du collectif Eza Possibles, mais aussi les photographes Sammy Baloji et Gulda El Magambo, les sculpteurs Aimé Mpane et Freddy Tsimba, la photo-vidéaste Michèle Magema. Le Cameroun comptait aussi un grand vidéaste, Goody Leye, mort récemment, à 35 ans. À suivre aussi au Mali, le photographe Fodé Camara, le peintre togolais Sokey Edorh, l’artiste multimédia béninois Dominique Zinkpè, le sculpteur ivoirien Jems Robert Kokobi. Il ajoute à cette sélection deux Haïtiens, Mario Benjamin et Maksaens Denis, qui vit à Dakar.

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