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Provenance, provenance, où es-tu ?

Publié le , par Vincent Noce

L’origine d’une œuvre n’est pas le premier souci des historiens de l’art. Le métier porte une adoration au «connoisseur», ce grand sachant auquel un seul regard suffit à identifier un tableau. Le raccourci n’est pas exagéré : «On me montre une peinture, j’y jette un œil ; nul besoin d’un examen plus complet, ce coup d’œil...

  Provenance, provenance, où es-tu ?
 

L’origine d’une œuvre n’est pas le premier souci des historiens de l’art. Le métier porte une adoration au «connoisseur», ce grand sachant auquel un seul regard suffit à identifier un tableau. Le raccourci n’est pas exagéré : «On me montre une peinture, j’y jette un œil ; nul besoin d’un examen plus complet, ce coup d’œil me suffit pour l’attribuer», écrivait Max Friedländer. Erwin Panofsky eut ce mot plein d’esprit : «On pourrait définir un connaisseur comme un historien de l’art laconique, tandis qu’un historien de l’art est un connaisseur loquace.» Friedländer s’est probablement trompé dans la moitié de ses attributions. On connaît mieux les résultats de ce mythe narcissique, désormais que sont reprises les œuvres à la lumière de nouvelles études. Les deux tiers du bon millier de peintures données à Rembrandt, il y a un siècle, par les grands connaisseurs comme lui, ont dû être écartés du corpus. Cela ne disqualifie pas l’apport de savants comme Bernard Berenson, Roberto Longhi ou Federico Zeri, et certainement pas les intuitions géniales dont ils se sont montrés capables. Mais cette révision devrait conduire à tempérer la foi dans la sensibilité du jugement purement esthétique. 

Les deux tiers du bon millier de peintures données à Rembrandt, il y a un siècle, par les grands connaisseurs, ont dû être écartés du corpus.

S’il suffit d’un coup d’œil pour déterminer l’auteur d’une œuvre et sa datation, son historique apparaît logiquement comme un phénomène secondaire. Tout juste peut-il venir rehausser le prestige d’un buste commandé par Richelieu. Du reste, les experts font valoir que beaucoup d’œuvres n’ont pas de provenance bien établie, le souvenir de leur passage s’étant évanoui, ou déformé, au fil des générations. Cette grisaille arrange bien le marché de l’art, qui a porté au cœur de sa religion un autre culte, celui du secret. Les professionnels ne sont guère enclins à remettre en cause les historiques des objets qui leur sont confiés. L’affaire évoquée dans cette colonne la semaine passée a de quoi susciter une certaine émotion. Que Sotheby’s, une vingtaine d’années après Christie’s, reprenne sans ciller comme origine d’un Modigliani «vente Paris 1940-1944» paraît quand même époustouflant. Manifestement, la mention de cette période un peu particulière n’a allumé aucun clignotant. Aujourd’hui, la maison se voit reprocher d’avoir versé les millions d’un Toulouse-Lautrec à un intermédiaire, sans avoir établi le titre de propriété. On se souvient de la sinistre affaire d’un portrait de Frans Hals saisi à la Biennale des antiquaires en 1990. Volé par les miliciens et les Allemands avec la collection Schloss, il était passé quatre fois aux enchères après la guerre, en dépit des protestations de la famille  deux fois chez Christie’s, deux fois chez Sotheby’s, pour ne pas faire de jaloux. Cette question de l’origine revient sur le devant de l’actualité à la faveur des scandales sur les blanchiments et la prolifération des contrefaçons, légitimées alors qu’elles surgissent de nulle part. En France, la Cour de cassation a établi l’obligation de vérifier les provenances, qui constituent un facteur de la garantie de vente. Jean Roudillon, 93 ans, nous confiait il y a peu : «La première question à poser : d’où vient l’objet ? Il ne faut jamais inventer une provenance, ou même en reporter une dans un catalogue, si vous ne pouvez pas la prouver.» Sans même parler des préoccupations éthiques, bien des embarras seraient évités à ses confrères s’ils écoutaient cet avis d’expérience.


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