À 73 ans, l’artiste bâloise Miriam Cahn bénéficie d’une première exposition majeure à Paris. Celle dont l’œuvre pictural s’est fait connaître dès 1982, à l’occasion de sa participation à la documenta de Cassel, a peu fréquenté les cimaises françaises, à l’exception de son discret passage au Centre culturel suisse il y a près de dix ans. C’est aujourd’hui le Palais de Tokyo qui prend l’initiative d’en proposer une «rétrospective». Le lieu de monstration a ici toute son importance, le centre d’art offrant une liberté d’accrochage qu’un musée n’aurait peut-être pas osé se permettre, faisant fi des nomenclatures d’usage. Réunies sous la grande verrière dans un continuum qui en épouse la courbe monumentale, deux cents œuvres s’imposent au regard, sans cadres ni cartels explicatifs : visages extatiques schématisés à l’extrême, corps nus engagés dans une sexualité ambiguë, maternités cannibales, idoles sans culte, arbres incandescents, animaux amputés… Aucune hiérarchie de formats ou de sujets ne semble présider à leur organisation, l’huile se mêlant au fusain et aux photos d’intervention in situ, le noir aux fluorescences de la couleur. Ensemble, ils dessinent d’abord une ligne horizontale – une course ! – puis finissent par envahir tout l’espace dans sa hauteur et jusqu’au sol, où sont exposés les carnets de dessin. Comme pour offrir une pause à l’œil, soumis à une charge figurative répétée, un pan de mur est réservé à des productions quasi abstraites : paysages anesthésiés par la palette, dans l’esprit lointain des modernités suisses, ou tempêtes chromatiques. Le travail de l’artiste s’y entend dans toute sa vérité : une pratique de l’instant presque performative – quelques heures lui suffisent pour achever une huile –, réactive à l’actualité et à sa brutalité, volontiers incendiaire. L’exposition rend ainsi justice, et c’est là son principal mérite, à l’énergie d’une œuvre puisant ses forces obscures chez Goya, mais irradiant d’une intense «joie de peindre».