Destinée singulière d’un petit village de Cornouaille dont les peintres atteignent à l’encan des prix étonnants.
La toile nous revient définitivement, elle sera la mascotte de Pont-Aven, qui, jusqu’à présent, n’avait aucun tableau de Gauguin», s’est félicitée à l’issue de la vente du 21 décembre 2003 Catherine Puget, aujourd’hui ancienne conservatrice du musée de Pont-Aven. Après une dernière enchère téléphonique, Les Deux Têtes de Bretonnes, pastel de 1894, ont été préemptées pour 494 500 € par l’établissement. L’un des meilleurs souvenirs et coups de marteau de l’étude Thierry - Lannon & Associés. Cette œuvre dédicacée à Maxime Maufra, peintre « pontavénien », date de son dernier passage en Bretagne, avant son départ définitif pour Tahiti.
Pont-Aven tout le monde connaît ! Les fées se sont penchées sur les rives de cette petite bourgade bretonne pour en faire un haut lieu de l’histoire de la peinture moderne. Dès 1865, un mouvement pictural est lancé par de jeunes Américains, parmi lesquels Robert Wylie (1839-1877).
La production de ce dernier est limitée et, semble-t’il, insuffisamment appréciée, tout du moins des salles des ventes en France. Ainsi, chez Claude Aguttes le 11 juin 2004, Jeune Bretonne à Pont-Aven, de 1876, estimée entre 25 000 et 30 000 €, ne trouvait-elle pas preneur. L’arrivée vingt plus tard de Paul Gauguin (1848-1903) fera naître le mythe. Notre peintre pense fuir la vie parisienne depuis l’été 1885. Sans un sou, il se réfugie «dans un trou de Bretagne pour faire des tableaux et vivre économiquement». L’année suivante, il installe ses pinceaux et son chevalet pour la première fois à la pension Gloanec. En août 1886 il rencontre Émile Bernard, l’autre grande figure de cette école, par l’intermédiaire de Claude-Émile Schuffenecker. Gauguin reprendra à son compte les essais de ce dernier sur le synthétisme. La découverte du tableau du Lillois, Les Bretonnes dans la prairie verte, de 1888, se révèlera pour lui un choc. La même année, Gauguin peint La Vision après le sermon ou la lutte avec l’ange, qui devient le manifeste pictural de l’école. L’histoire est en marche. Ses toiles, échangées à l’époque pour vivre, atteignent aujourd’hui des sommets. Pour preuve, celle intitulée Les Grands arbres, de 1889, fut adjugée 2 036 000 £ le 6 février 2007, soit 2 988 441 € chez Christie’s Londres. Il devient la clef de voûte du groupe qui se forme autour de lui, comme le remarque son contemporain Ferdinand Loyen du Puigaudeau (1866-1930) : «Ses théories très personnelles et sa peinture, qui l’était plus encore, révolutionnaient toute la colonie d’artistes [...]. Les jeunes, qui le critiquaient vivement, le ridiculisaient même volontiers, mais malgré eux, ils subirent l’influence de cet homme». Très peu de tableaux de sa période bretonne subsistent et ils demeurent très convoités, à l’exemple de l’Autoportrait à la mandoline de 1889, œuvre enlevée pour la somme astronomique de 3 176 000 $, soit 2 351 828 €, le 9 mai 2007 chez Christie’s, à New York.
Dans des sphères numéraires un peu moins hautes, on trouve trois virtuoses du pinceau : Émile Bernard (1868-1941), Maurice Denis (1870-1943) et Paul Sérusier (1863-1927). Ils forment autour de Gauguin le noyau dur de l’école. Leurs réalisations s’arrachent sur les dix dernières années entre 150 000 et un peu plus de 600 000 €. Ainsi, en 2000 à Brest chez Thierry - Lannon & Associés, Les Communiantes - La Promenade au jardin de Denis réalisait 3 821 358 F, inscrivant la toile parmi le trio de tête de ses meilleures adjudications. Deux ans plus tard, en mai 2002, l’étude bretonne réitère un record avec La Moisson du blé noir de 1899, de Sérusier, qui enregistre 621 000 €, troisième meilleur résultat de sa carrière à ce jour. Émile Bernard, pour qui la période de Pont-Aven s’arrête en 1893, ne démérite pas non plus en ventes. Adjugé 402 252 € le 8 juin 2006 chez Tajan, le Portrait de Madame Schuffenecker, de 1888, reste le plus grand succès de l’artiste.
Archaïque et religieux
Un bon nombre de jeunes peintres vont suivre l’empreinte laissée par le maître. Certains conserveront l’esthétique synthétique chère à Paul Gauguin, comme Charles Filiger (1863-1928), d’autres s’en éloigneront, comme Henry Moret (1856-1913) ou Maxime Maufra (1861-1918). Bien que leurs qualités picturales soient reconnues, les prix observés de leurs toiles sur le second marché sont bien plus abordables. Au sein de ce creuset, on trouve des personnalités étrangères, tel le Hollandais Jan Verkade, dont la carrière sera de courte durée. Il arrive en France en février 1891 et devient moine bénédictin en 1894. Ses affinités avec une Bretagne archaïque et religieuse lui vaudront le surnom de «nabi obéliscal».
Chez Piasa, le 8 décembre 2004, Nature morte aux pommes, de 1891, ne laisse pas les connaisseurs indifférents ; l’œuvre se hisse à 195 542 €, le plus haut prix d’ailleurs relevé pour cet artiste. Mogens Ballin (1871-1941), compatriote de Verkade, aura lui aussi une production concise, sur deux années, en 1892-1893. Trois dessins passés le 23 mai chez Christie’s Paris, ont modestement atteint entre 1 200 et 2 880 €. Le Polonais Wladyslaw Slewinski (1854-1918) découvre le travail de Gauguin lors de l’Exposition universelle de 1889, où celui-ci expose dans le café d’un dénommé Volpini. Séduit, ce spécialiste des natures mortes part la même année en Bretagne et y reste jusqu’en 1896. Le 26 mars 2005 à Brest, un amateur repartait avec Nature morte aux bouteilles et aux pommes, de 1896, pour 46 000 €, chez Thierry - Lannon & Associés. Tout comme eux, Charles Filiger aura une activité condensée autour des années 1892-1894. Peu d’œuvres de cet Alsacien sont répertoriées. Seulement une quinzaine, dont Paysage breton, une représentation stylisée, qui recueillait 631 355 F le 22 juin 2001 chez Drouot-Estimations.
Autre artiste de qualité, le Breton Émile Jourdan (1860-1931), fidèle disciple de Gauguin dès 1886. Ses compositions colorées et lumineuses lui valent le surnom de «peintre de la lumière». Caractéristique de son travail, La Route rouge à Pont-Aven était enlevée à 19 349 € le 28 juin 2006 à Paris, chez Boisgirard & Associés. Avec Henri Delavallée (1862-1943), on s’éloigne du synthétisme pour une touche pointilliste. Les prix se déclinent sur une gamme plus raisonnable. Ainsi, Chaumières près de Pont-Aven, de 1892, une huile sur toile, était adjugée 12 033 € à Paris le 27 novembre 2006 par l’étude Marie-Françoise Robert & Franck Baille. Enfin, avec Henry Moret on se trouve dans une mouvance parfois volontiers impressionniste, tout comme avec Maxime Maufra. Leurs tableaux en ventes font plutôt de bons résultats. Tajan a vendu 38 230 € un paysage de Moret, Rivière à Pont-Aven, le 3 mai dernier à Paris. Maufra pour sa part enregistrait 30 980 € pour Soleil couchant à Trébeurden, le 19 mars 2007 chez Millon & Associés.
On l’aura compris, les amoureux de cette période recherchent les peintures de 1888 aux premières années de 1890. Comme le souligne l’expert Philippe Jamault, les créations postérieures à 1900 montrent des écarts de prix importants pour un même artiste. Ainsi, certaines toiles d’Émile Bernard, datées de la fin de sa vie, peuvent se négocier à partir de quelques milliers d’euros.