Le Corbusier peint cette toile dix ans après la publication d’un manifeste pour un nouvel art, le purisme, dont il définit les contours avec le peintre Amédée Ozenfant. Au cubisme synthétique et orphique, trop ornementaux, il oppose un esprit nouveau, – nom de la revue qu’il fonde en 1920 – qui n’est toutefois pas totalement étranger à la grammaire cubiste. De simples objets du quotidien deviennent ainsi ses principaux motifs picturaux. Méconnues du grand public, les œuvres de la période puriste réunissent en effet ce que l’architecte appelle les objets-types : des objets standardisés produits en série, clefs de voûte de la marque Le Corbusier. Ici, un livre ouvert posé sur la table, des assiettes ou des bols deviennent des symboles d’universalité et d’intemporalité. Plus qu’une recherche sur la forme, c’est davantage un travail sur la sérialité qui l’occupe, en peinture aussi. Si ces motifs sont encore identifiables au début des années 1920, l’artiste les rend de plus en plus abstraits au fil des ans, modifiant les points de vue, rapprochant les plans spatiaux et temporels. Des espaces imaginaires prennent forme dans des nuances de bleus clairs, de roses, d’ocres, de verts, de bruns, interpénétrant et superposant lignes et contours. Le Corbusier n’a de cesse de faire des allers-retours entre le dessin, l’écriture et l’architecture, chaque discipline en nourrissant une autre. Les années qui suivent cette Nature morte au grand livre aboutiront, d’ailleurs, à ce que les historiens de l’art appellent le « mariage des contours », un processus consistant à dessiner d’un seul trait les contours de deux objets, une démarche similaire à celle qui consiste, en architecture, à déterminer deux espaces avec une seule cloison. Si Le Corbusier a réalisé près de 450 peintures, ces œuvres restent relativement rares sur le marché, les collectionneurs tendant à les conserver jalousement.