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Plan de coupe sur l'oreille de Van Gogh

Publié le , par Vincent Noce

La télévision se prend pour le cinéma. Du moins est-ce l’impression désagréable et tenace que laisse l’abondance de documentaires abordant le patrimoine et les arts achetés par les chaînes publiques, sur lesquels elles semblent n’exercer aucun contrôle. Plusieurs exemples nous viennent à l’esprit. Déjà, il suffirait de...

© Creative Commons, Flickr, pixelsniper Plan de coupe sur l'oreille de Van Gogh

© Creative Commons, Flickr, pixelsniper

La télévision se prend pour le cinéma. Du moins est-ce l’impression désagréable et tenace que laisse l’abondance de documentaires abordant le patrimoine et les arts achetés par les chaînes publiques, sur lesquels elles semblent n’exercer aucun contrôle. Plusieurs exemples nous viennent à l’esprit. Déjà, il suffirait de comparer la recherche sur le séjour de Vincent Van Gogh à Arles, publiée par Bernadette Murphy en juillet à Londres, avec le documentaire correspondant, diffusé par Arte samedi 14 janvier, pour constater à quel point les mécanismes fictionnels mis en œuvre par les productions audiovisuelles peuvent abîmer la complexité des faits. Ce qui est en cause ici est un système formel fondé sur une dramatisation artificielle poussée jusqu’au ridicule. Ce film met en scène le travail, sur plusieurs années, de cette chercheuse vivant en Provence, qui a notamment établi une base de données des Arlésiens de l’époque (bien malgré elle, elle a été ainsi entraînée dans l’histoire des dessins publiés par le Seuil). Elle est notamment parvenue à retrouver l’identité de la jeune prostituée à laquelle Van Gogh avait remis son oreille mutilée après sa rixe avec Gauguin. Elle a surtout, à Berkeley, exhumé des archives du premier biographe de Van Gogh, Irving Stone, un dessin de l’automutilation, tracé par l’interne qui l’avait soigné aux urgences. Cette trouvaille a été jugée suffisamment sérieuse par le musée Van Gogh pour qu’il l’insère dans une exposition consacrée à la pathologie de l’artiste. Ce documentaire britannique prend un autre parti. Dès l’abord, il embouche la trompette de la conspiration, prétendant départager «le vrai et le faux», débusquer «les mensonges» et traquer la «version officielle»  sans qu’il soit jamais précisé quelle autorité masquée aurait façonné cette maléfique manipulation. Le suspense, bientôt insoutenable, se concentre sur la surface découpée de l’appendice : le lobe ? une partie du pavillon ? tout le pavillon ? À coups de conjectures hardies sur la taille du pansement et les témoignages plus ou moins tardifs, l’intrigue se complexifie à un point tel que le commentaire en français devient singulièrement embrouillé.

Un système formel fondé sur une dramatisation artificielle poussée jusqu’au ridicule.

On passera sur la scène qui rejoue avec force émotion la découverte du document de Berkeley, sous le regard embarrassé du bibliothécaire, ou encore les essais pathétiques de décryptage d’une nature morte («la bougie représente Gauguin») et de notes fragmentaires jetées sur le papier par ce dernier sous influence délirante d’absinthe («les spécialistes pensent que»…). Quant à la pauvre Bernadette, elle ne s’arrête jamais. «Elle révèle des mensonges, elle est à la recherche du moindre indice, c’est un voyage à travers les continents à la recherche de la vérité de Van Gogh.» Au bout d’1 h 30 (!) de ce fastidieux discours, on apprend ce qui se savait depuis 1934, année de la parution de la biographie d’Irving Stone. Entre-temps, histoire de faire monter la pression, l’émission s’était évertuée, avis psychiatrique à l’appui, à nous faire accroire que la mesure de la découpe refléterait l’ampleur des symptômes de l’artiste. S’il ne s’était coupé que le lobe, il ne serait pas si fou. C’est sûr, avec de tels arguments, l’histoire de l’art en sort bouleversée et la «version officielle» de ceux qui nous veulent du mal anéantie.


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