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Pillage archéologique : le fléau français

Publié le , par Sarah Hugounenq

Alors que le phénomène est réputé concerner les grands sites archéologiques des pays en guerre, la France souffre d’une recrudescence de pillages sauvages. La riposte des archéologues et du ministère s’organise.

Dépôt de haches à douille de Saint-Lô (Manche). © Hervé Paitier, Inrap Pillage archéologique : le fléau français
Dépôt de haches à douille de Saint-Lô (Manche).
© Hervé Paitier, Inrap

Attachants », « bienveillants », « drolatiques » … La critique française ne tarit pas d’éloges sur Andy et Lance, deux bons à rien détectoristes. Série britannique, Detectorists serait même une « ode aux plaisirs simples »… et au loisir illégal ! Car si la législation anglaise autorise le ratissage des sols, en France, l’activité pourtant strictement encadrée continue de faire des ravages. « Lara Croft, Indiana Jones… Les figures d’archéologues aventuriers peuplent notre imaginaire et nourrissent une vision fantasmée de la découverte archéologique », regrette Dominique Garcia, président de l’Inrap,  Institut national de recherches archéologiques préventives. « Le vestige archéologique intéresse moins l’archéologue que son contexte. La démarche archéologique de laquelle découle un savoir répond à une problématique précise qui nécessite une méthode de fouille rigoureuse, enregistrant  l’ensemble des informations d’un terrain. Sortir un objet aussi beau soit-il du sol sans informations sur son environnement, sans étude des strates, revient à arracher la dernière page d’un roman policier. Vous aurez le nom du coupable mais sans connaître l’histoire. Donc vous ne comprendrez rien », explique Xavier Delestre, conservateur-archéologue à la DRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur. Pourtant en France, la pratique est quotidienne. La Fédération française de détection de métaux – et ses 5 500 adhérents – dénombre 120 000 détectoristes. « Les ventes de “monnaies romaines à identifier” pullulent sur eBay. Il y a vingt ans, ceux qui cherchaient au hasard s’intéressaient aux découvertes, à leur valeur. Désormais, la vente en ligne et l’anonymat d’Internet permettent de toucher une audience énorme, où il y aura toujours quelqu’un pour mettre un prix. Le pillage peut se faire à l’aveugle à des fins exclusivement mercantiles, qui plus est dans le contexte de crise économique que l’on traverse depuis quelques années, regrette Dominique Garcia. Il n’est plus rare de revenir sur nos fouilles après le week-end et d’y découvrir 50 trous. Jamais cela n’arrivait il y a encore dix ans ! Nous recourons à des gardiens, des clôtures, des alarmes. Non seulement le surcoût n’est pas négligeable, mais cela prive aussi les habitants de la transmission que ces chantiers permettent. Nous avons par exemple fait une extraordinaire découverte l’an passé, dont nous ne parlons toujours pas, le temps d’achever la fouille et éviter des pillages. » Les détectoristes sont-ils tous des pilleurs ? « La découverte fortuite d’un objet archéologique n’est pas un délit, précise Cécile Lantrain, adjointe au chef du bureau du patrimoine archéologique du ministère de la Culture. Mais il y a des réflexes à avoir. Depuis 1941, la déclaration en mairie de découverte de vestiges est obligatoire, y compris quand cela semble insignifiant. Le service archéologique régional déterminera la valeur archéologique du bien, mais aussi de savoir si la découverte est bien fortuite. »
 

Balsamaires en verre, découverts dans une nécropole antique à Narbonne. © Denis Gliksman, Inrap
Balsamaires en verre, découverts dans une nécropole antique à Narbonne.
© Denis Gliksman, Inrap


Faux prétextes
Alors qu’une découverte par détecteur peut difficilement être considérée comme fortuite, le lobby du détectoriste et ses revues spécialisées ayant pignon sur rue rivalise d’inventivité. Dernière tendance en date, justifier leur méfait par une prétendue dépollution des sols. La logique imprègne jusqu’au discours de certains élus. La députée Katiana Levavasseur (Rassemblement national) en a fait l’apologie dans une question à la ministre de la Culture en novembre dernier. Elle faisait valoir que « la pratique de la détection de métaux contribue à assainir la terre en récoltant des objets tels que des résidus de tirs anciens des cartouches ou encore des objets perdus […] plus qu’à la recherche d’objets de valeur ». Garante de la législation protégeant son sous-sol, la rue de Valois a donné une fin de non-recevoir rappelant que « les détectoristes sont susceptibles de causer des dommages irréversibles au patrimoine archéologique […]. C’est pour cette raison que l’État requiert, pour délivrer l’autorisation d’utiliser un détecteur de métaux à des fins de recherche archéologique, non seulement une compétence scientifique, mais également un projet de recherche raisonné (art. R. 542-1 du code du patrimoine) ». L’arsenal juridique en matière de lutte contre le pillage archéologique est pourtant complet : délits de vol et recel du code pénal, protection des vestiges archéologiques réputés appartenir à l’État depuis la loi CAP de 2016, et protection de la circulation des biens culturels dans le code des douanes. « Reste la faiblesse des condamnations et des sanctions de quelques milliers d’euros, sauf en cas d’infraction au code des douanes, où l’amende s’élève à plusieurs centaines d’euros, regrette Jean-David Desforges, président de l’association Halte au pillage du patrimoine archéologique et historique. D’autant qu’il s’agit le plus souvent de primo-délinquants, qui n’écopent que de simples rappels à l’ordre. » Autre angle mort, les vols sont prescrits au-delà de dix ans : or, la date d’un pillage est par nature indéterminable. Telle fut la difficulté du tribunal correctionnel de Chambéry, le 13 janvier, face à un homme qui comparaissait pour « vol d’objets mobiliers classés ou inscrits », « recel habituel de biens provenant d’un vol », « non-déclaration de découvertes archéologiques fortuites » et « utilisation sans autorisation d’un détecteur de métaux pour recherches historiques ou archéologiques » dans le lac d’Aiguebelette, en Savoie, reconnu site palafittique préhistorique. Faute de preuves suffisantes sur les dates auxquelles remontent les délits, la condamnation est attendue assortie de sursis. « L’approche a changé ces dernières années. Les services de l’État, jusque-là assez compréhensifs avec les détectoristes, ont compris que les fausses déclarations polluent le discours sur les biens et la connaissance, analyse le Ministère. L’attitude est donc plus stricte et une coopération plus forte entre les acteurs de la culture et les douanes, la police, les magistrats, a été lancée. Outre la convention avec la gendarmerie nationale, signée en juillet 2022, pour structurer l’action en matière de protection du patrimoine archéologique à l’aide de référents dans les forces de l’ordre, il faut aussi souligner la sensibilisation des conservateurs à l’action pénale. En déposant plainte et en dressant des procès-verbaux, leur investissement sur ce champ a permis à des enquêtes d’être diligentées et à la justice d’agir. »
 

Le chantier de fouilles au Mont-Saint-Michel. © Denis Gliksman, Inrap
Le chantier de fouilles au Mont-Saint-Michel.
© Denis Gliksman, Inrap


Former les plus jeunes
Cet enjeu de coordination des services de l’État se double aujourd’hui d’une nouvelle dynamique : la sensibilisation du grand public. En un an, les expositions sur le thème inédit du pillage se multiplient. « Trésors coupables – Pillages archéologiques en France et dans le Bassin méditerranéen », au musée d’Histoire de Marseille, s’inscrit dans le sillage de « Passé volé, l’envers du trésor », à l’été 2022 au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, et « Trésors du fond des mers, un patrimoine archéologique en danger », qui vient de fermer ses portes au musée Arles antique. « Porter le sujet auprès du grand public est primordial mais ne suffit pas, explique Agathe Le Riche-Maugis, chargée de médiation numérique et des partenariats éducatifs à Bibracte. Les catalogues de Noël regorgent de détecteurs de métaux vendus comme jouets pour les enfants, ce sont eux qu’il faut former. » La jeune femme a mis sur pied la première formation à destination des enseignants en cycles 3 et 4 (mais aussi en partenariat avec Erasmus + à l’échelle européenne). « Ils sont confrontés à des élèves qui viennent montrer à la classe ce qu’ils ont découvert pendant le week-end, conduisant parfois à inviter le papa détectoriste à parler de sa passion… Nous créons donc des ressources pédagogiques pour faire comprendre que sortir l’objet de terre de manière non professionnelle conduit à une perte de connaissance de notre passé, et qu’un objet pillé peut alimenter un réseau de grande ampleur, dont certains finançant le terrorisme. » Après une première session à Marseille, une seconde se déroulera en Bourgogne à la mi-mai, sous un intitulé de choc : « Piller n’est pas jouer. »

à voir
« Trésors coupables - Pillages archéologiques en France et dans le Bassin méditerranéen »,
musée d’Histoire de Marseille, palais Longchamp, boulevard Jardin zoologique, Marseille (IVe),
tél. : 04 91 14 59 50.
Jusqu’au 12 novembre 2023.
https://musees.marseille.fr/
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