Satire sociale du début du XVIIe siècle – toujours d’actualité –, ce tableau de Pieter II Bruegel est une redécouverte. Si son corpus est bien connu, sa taille est unique.
Les inventaires réservent parfois de belles surprises, comme ce tableau donné à Pieter II Bruegel, repéré par le commissaire-priseur Malo de Lussac alors qu’il sommeillait dans un salon, ses propriétaires ne se doutant pas de la valeur de cette œuvre entrée dans leur famille vers 1900. Sa composition est bien connue, des tableaux similaires étant conservés par plusieurs musées, dont le Louvre, sous le titre de Paysans chez un homme de loi, dit aussi Le Paiement de la dîme. Si le défilé de personnages apportant leurs biens a d’abord été interprété comme l’acquittement de l’impôt, les spécialistes s’accordent désormais à considérer qu’ils viennent consulter un juriste monnayant son savoir et ses services. Une analyse corroborée par l’abondance des documents pliés et ficelés, et des sacs étiquetés suspendus aux étagères, caractéristiques d’un mode de rangement des pièces de procédure, utilisé pendant des siècles. Apparue en peinture à la fin du XVe siècle, la critique néerlandaise des hommes de loi n’a cessé de prendre de l’importance jusqu’au début du XVIIe siècle. Son succès est alors éclatant, comme le prouvent les 91 exemples de cette composition de Pieter II Bruegel, répertoriés par Klaus Ertz. De quoi témoigner de l’hostilité de la société de l’époque à l’égard de la vénalité des légistes, alors que l’enjeu n’est rien moins que la justice. Si la satire est discrète, elle est bien présente : l’homme ayant l’oreille de l’avocat – documents en main et bonnet de la profession sur la tête – est le seul qui tient une bourse de pièces sonnantes et trébuchantes, alors que ses modestes compagnons, n’apportant que des raisins, une volaille et des œufs, courbent humblement l’échine dans l’espoir de se faire entendre. L’argent achète donc le droit. S’il peut être utilisé à bon escient, il demeure néanmoins dispendieux pour les villageois, d’autant que le sablier rouge posé devant le juriste délivre son message sans ambiguïté : le temps, c’est de l’argent ! Ce savoureux tableau peut être replacé dans son corpus, grâce à la présence de cordes sur le mur du fond, et à la chemise claire du personnage situé à l’extrême gauche, qui permettent de le dater entre 1615 et 1617. Les tableaux ultérieurs remplacent ces éléments par un rideau sombre et un vêtement rouge. Si toutes les peintures mesurent entre 55 et 75 cm de haut et 100 à 120 cm de large, celle-ci s’en démarque par sa taille inhabituellement grande : 112 x 184 cm. De quoi se faire remarquer par les amateurs…