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Pierre Passebon, sur les traces de Marlène

Publié le , par Éric Jansen

Le spécialiste des arts décoratifs du XXe siècle n’est pas seulement incollable sur Royère ou Knoll. Il est également intarissable sur Marlène Dietrich, dont il possède deux mille photos.

© benoit peverelli Pierre Passebon, sur les traces de Marlène
© benoit peverelli

La Maison européenne de la photographie rend hommage à Pierre Passebon collectionneur. Le marchand parisien, spécialisé en arts décoratifs du XXe siècle, est célèbre pour son goût éclectique. Que ce soit dans sa galerie ou chez lui, il fait montre d’un œil infaillible pour associer des vestiges de l’âge d’or de Marie-Laure de Noailles ou de Madeleine Castaing à des œuvres de Gio Ponti ou de Guy de Rougemont. Mais beaucoup ignoraient qu’il cultivait aussi une passion pour Marlène Dietrich, dont il collectionne les photos depuis une vingtaine d’années.
À l’origine de cette collection, y a-t-il eu une rencontre avec Marlène ?
Non, je ne l’ai même jamais croisée. J’aurais adoré assister à sa série de concerts en 1973, à l’Espace Cardin, mais je faisais mon service militaire. Adolescent, j’écoutais ses disques et aimais sa voix, son allure, son style. J’étais aussi sensible à son indépendance, sa tolérance, sa modernité. Quand je suis arrivé à Paris, en 1974, j’ai habité rue Saint-André-des-Arts, chez Régine Deforges, qui était une amie de mon père, et j’allais très régulièrement à l’Action Christine voir les films de Sternberg.
Mais ensuite, vous auriez pu essayer de vous rapprocher d’elle, comme d’autres l’on fait… 
C’est drôle, mais je ne cherche jamais à rencontrer les gens que j’admire. Je préfère rester dans le rêve, la fiction. Ainsi, je ne suis pas du tout intéressé par le fait d’acheter des objets lui ayant appartenu. On me le propose souvent, mais je déteste l’idée de relique.
Le briquet de Marlène, les chaussures de Marlène… cela me dégoûte même un peu, je trouve cela morbide. Je n’ai qu’une chose lui ayant appartenu : une poupée noire en tissu. Elle en faisait collection et on en voit dans ses films, comme dans Morocco. Le plus amusant, c’est que j’ai aussi une poupée blanche qui a appartenu à Garbo !

Comment votre collection a-t-elle débuté  ?
Au départ, j’achetais pour moi des vues de plateau ou de film, qui ne valaient pas grand-chose. Ensuite, je me suis intéressé aux photographes. À l’exposition «Marlène Dietrich» du Palais Galliera, en 2003, j’ai eu un choc devant la photo aux orchidées de Cecil Beaton ! J’ai découvert qu’elle avait été immortalisée par les plus grands, mais continuais à penser que cela n’avait pas un intérêt spécial, sauf celui de me faire plaisir. Les choses ont changé le jour où j’ai montré mes premiers achats à Sylviane De Decker, qui m’a conseillé de casser ma tirelire et d’aquérir de beaux portraits.
Elle avait un point de vue de marchand, réalisant des collections pour des privés. Je l’ai écoutée et ai commencé à collectionner sérieusement. Une photo de Richard Avedon en 2000 coûtait déjà cher…

 

Marlène par George Hurrell en 1938. Tirage argentique, 41 x 51 cm. © courtesy mep
Marlène par George Hurrell en 1938. Tirage argentique, 41 51 cm.
© courtesy mep

N’est-ce pas également grâce au photographe Patrice Calmettes que cet ensemble a considérablement augmenté ?
Absolument. Patrice Calmettes était ami avec Marlène. Ils vivaient dans le même immeuble de l’avenue Montaigne et il l’appelait tous les jours. Il achetait des photos qu’il lui faisait signer et, qu’elle gardait parfois pour elle.
Il m’en a vendu certaines, dédicacées à l’encre verte ou au feutre argent, mais elles n’ont pas de valeur supplémentaire pour moi. Je ne fais pas de différence. Ce qui compte, c’est la qualité du cliché, le nom du photographe, et Patrice Calmettes m’en a indiqué de nombreux.

Ce qui vous motive, est-ce autant votre attachement pour la personnalité de l’actrice que le fait de montrer de grands photographes ?

Tout à fait. Tout le monde connaît les sublimes clichés d’Avedon, de Beaton ou de Milton Greene, mais les photos d’Eugene Robert Richee ou de George Hurrell sont aussi magnifiques. Certaines ont été supervisées par Sternberg, qui surveillait les éclairages des prises de vue, à la demande de Marlène. Elle était très directive et fatiguait un peu tout le monde. J’aime beaucoup la photo d’Irving Penn la montrant lui jetant un regard noir… Elle ne veut pas qu’il la photographie de profil, mais il lui répond qu’ici, c’est lui le patron ! Elle le regarde furieuse, et la photo est géniale. Comme elle est intelligente,
elle comprend que c’est une bonne photoet le félicite.

Des deux mille clichés que vous possédez, il a fallu n’en retenir que deux cents. Qu’est-ce qui a guidé votre choix ?
La beauté de l’image, le nom du photographe… L’humour aussi parfois, comme dans ce cliché où Marlène mange du saucisson, ou cet autre qui la montre déguisée en employée de cirque lors du Gala des artistes. J’aime aussi la photo qui ne cadre que ses jambes dépassant d’un isoloir, aux États-Unis : cela renvoie à sa vie privée, son changement de nationalité, son engagement aux côtés des Américains pendant la guerre. Dans un autre genre, mais tout aussi personnel, il y a ce portrait dans lequel elle pose avec sa fille. Ce fut une première à Hollywood, qui n’acceptait pas que ses stars aient une famille… Enfin, j’ai une tendresse pour celle de Patrice Calmettes, capturant ce matelot qui tient une photo dédicacée de Marlène.
Si vous deviez en distinguer une parmi toutes…
La plus extraordinaire est pour moi celle prise par Steichen en 1934. On dirait un masque nô.

 

… Photographiée par Scotty Welbourne en 1941. Tirage argentique, 24 x 19 cm. © courtesy mep
Photographiée par Scotty Welbourne en 1941. Tirage argentique, 24 19 cm.
© courtesy mep

Des photos manquent-elles à votre collection ?
L’époque de Berlin, avant L’Ange bleu, est difficile à trouver. Marlène est encore Lola-Lola, une gentille fille un peu ronde, qui me touche.
Que deviendra-t-elle dans le futur ? Ira-t-elle à un musée ?
Si quelqu’un me propose de me l’acheter en entier, pourquoi pas ? Ce qui est amusant lorsqu’on collectionne, c’est la quête et l’acte d’achat. Ensuite, on accumule les choses. Toutes ces photos de Marlène étaient stockées au bureau, dans des boîtes.
Avez-vous d’autres ensembles ?
Je collectionne les planches de bande dessinée des années 1930 : Prince Vaillant, Flash Gordon, Tarzan… Je les aime pour leur graphisme, car je dois avouer ne jamais avoir lu de BD : je déteste ça.
Le goût de la collection remonte-t-il à vos premières années aux puces ?
Je crois avoir toujours aimé collectionner. Enfant, j’accumulais les voitures miniatures, les porte-clés… Adolescent, j’accompagnais mon père, qui adorait chiner. Quant à ma mère, elle était une habituée des salles de ventes, où je me rendais souvent avec elle. Avant de devenir marchand, j’avais une petite maison à Montmartre et allais aux puces tous les week-ends. Ensuite, avec Christian Sapet, nous avons eu une boutique près de Drouot et je hantais les lieux ! C’était l’époque où l’on pouvait trouver une lampe de Jean-Michel Frank dans une mannette à 50 francs… C’est aussi à Drouot que j’ai fait la connaissance d’Alexandre Biaggi, qui se destinait alors à être commissaire-priseur et que nous avons débauché : avec Christian Sapet, nous nous sommes installés tous les trois au marché Paul-Bert.
Vous avez ensuite ouvert, passage  Véro-Dodat, votre propre galerie. Vous souvenez-vous de votre première exposition ?

J’ai présenté Jean Royère, puis Alexandre Knoll. La photo est arrivée ensuite avec Lynn Davis. C’est elle qui est venue vers moi : je n’avais pas une galerie de photos et, surtout, ne voulais pas enlever les meubles, mais ça lui convenait très bien comme ça. Elle m’a dit : «C’est parfait, je cherche une galerie humaine.»
Cet éclectisme est vite devenu votre marque de fabrique.
Je fais juste ce qui me plaît et cela m’a plutôt porté chance jusqu’à présent.

pierre passebon
EN 5 DATES

3 mars 1953
Naissance à Tours
1978
Création des éditions des Autres
1986
Installation aux Puces de Saint-Ouen
1992
Ouverture de la galerie du Passage
2015
Officier des Arts et des Lettres
Gazette Drouot
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