Piânkhy, Chabaka, Taharqa… Ces rois kouchites de la XXVe dynastie dominent l’Égypte et lui offrent une « renaissance », religieuse et artistique. Le musée du Louvre s’en fait le narrateur, pas toujours de façon didactique.
Ils sont mal connus du grand public, ces pharaons «à la peau brûlée» que décrivait Hérodote dans ses Histoires au Ve siècle avant notre ère et que cite la Bible – Taharqa y est nommément mentionné. C’est qu’ils entrent en scène à une époque tardive, bien après les puissants règnes des Aménophis et des Ramsès, ceux des XVIIIe et XIXe dynasties (vers 1500-1100 av. J.-C.). La grande et puissante Égypte est affaiblie, divisée – une capitale dans le delta à Tanis, au nord, et l’autre à Thèbes –, menacée par les désirs de conquête des Assyriens. À l’extrême sud, au-delà de la deuxième cataracte, le pays de Koush se réveille. Vassal de la terre des pharaons dès le Moyen Empire, le royaume lui paie son tribut, s’acculture au point d’adopter son panthéon et finit par gagner son indépendance. Roi pieux, Piânkhy se sent investi d’une mission : redonner son unité à l’Égypte et rétablir les cultes dans les temples pour garantir l’ordre cosmique. De sa capitale, Napata, il envoie ses armées pour la conquérir et fonder la XXVe dynastie. «Pharaon des deux terres. L’épopée africaine des rois de Napata» raconte ce chapitre de l’histoire pharaonique, qui ne dure pas un siècle (720-655 av. J.-C.) mais marque une «renaissance» de l’art égyptien, avec un retour aux canons plutôt massifs de l’Ancien Empire. Une exception dans le parcours : le buste de Montouemhat, maire de Thèbes, représenté ici en prophète d’Amon, et pour lequel le raffinement de la perruque comme des traits rappelle les XVIIIe ou XIXe dynasties. Si ce dernier provient du Brooklyn Museum, la plupart des œuvres présentées sont issues des collections du Louvre lui-même – dont l’emblématique Taharqa devant le faucon Hémen, la triade d’Osorkon en or ou les stèles du Sérapéum de Memphis, essentielles pour suivre la chronologie et les successions des rois kouchites –, complétées par des prêts, notamment du musée national du Soudan à Khartoum. L’introduction déstabilise avec la reconstitution d’une statue de Taharqa, restaurée numériquement et dont la coiffe et les bijoux ont été dorés à la feuille : très étonnante vision kitsch, que l’on retrouve à la fin avec le groupe des sculptures des rois napatéens découvertes brisées en 2003 dans une fosse à Doukki Gel, l’antique cité d’Amon-du-Jujubier. Il est impensable d’imaginer que pour introduire une exposition sur l’art hellénistique, le même musée du Louvre puisse recréer une Vénus de Milo, complétée de ses bras et repeinte telle qu’elle pouvait l’être au IIe siècle avant notre ère. Ces reconstitutions ont néanmoins le mérite d’insister sur l’iconographie du pharaon de Koush, qui porte le double uraeus – pour matérialiser la réunion des deux pays –, la coiffe dite «kouchite», le collier triple et des boucles d’oreilles ornées de la tête du bélier d’Amon de Nubie. Dans ce parcours parfois un peu aride, le contexte de la redécouverte de ces rois au XIXe siècle est illustré par la compétition entre missions franco-toscane, prussienne et anglaise pour retrouver les sources du Nil et l’empire mythique de Méroé, avec les relevés des monuments de l’officier Linant de Bellefonds, ou le rôle d’Auguste Mariette dans la mise en lumière de ces pharaons au musée du Caire – qu’il a créé – et sa collaboration avec Verdi pour Aïda. Dans cette vision romantique et romanesque des relations entre l’Égypte et l’Éthiopie, on retrouve des intrigues et des jeux d’alliance qui rappellent celles d’un Psammétique Ier (663-609 av. J.-C.) avec les Assyriens pour voir s’effondrer les rois kouchites. Une exposition où il faut prendre le temps.