Cette historienne de l’art, spécialiste des collections Rothschild, est co-commissaire de l’exposition que le musée de la Boverie, à Liège, consacre aux femmes de la famille. Un éclairage inédit sur des collectionneuses et des donatrices hors pair.
Charlotte, Béatrice, Adèle, Cécile, Liliane… Elles sont neuf à être mises à l’honneur dans cette exposition sur les baronnes de Rothschild collectionneuses et mécènes, organisée en partenariat avec le musée du Louvre. Neuf femmes au destin hors du commun, pas moins intéressantes que leurs époux ou pères. Explications.
Comment est née cette exposition ?
L’idée ne vient pas de moi. C’est Pierre Paquet, le directeur du musée La Boverie, à Liège, qui a souhaité consacrer une exposition aux Rothschild collectionneuses, après avoir consulté les trois livres que j’ai dirigés sur Les Rothschild, une dynastie de mécènes en France. Mais il est vrai que dans mon introduction, je faisais mention d’un mécénat au féminin car ce projet avait fait émerger des figures de femmes jusque-là restées dans l’ombre.
Cet énorme coffret est devenu l’ouvrage de référence en matière de donations Rothschild…
C’est un travail de neuf ans, mais le projet remonte à très longtemps… J’ai commencé à travailler sur les Rothschild en 1987 ! Je cherchais alors un sujet de thèse. Je me suis intéressée aux Rothschild bâtisseurs, il n’y avait rien sur le sujet, j’ai mis à jour soixante bâtiments construits par eux. Au même moment, j’ai rencontré le baron Élie, qui m’a proposé autre chose : faire l’inventaire de tout ce que la famille avait donné aux musées français. Cela n’avait jamais été fait. J’ai écrit aux mille trois cents musées de France en leur demandant s’ils avaient des dons Rothschild. J’ai reçu plus de neuf cents réponses. À partir de là, j’ai établi une liste de soixante mille œuvres. Un travail de deux ans. Nous sommes bien sûr avant Internet et l’ordinateur… C’était très factuel, mais j’ai alors perçu toute l’ampleur et la diversité des domaines concernés : cela allait de l’Antiquité à nos jours, et surtout ce n’était pas que pour Paris, beaucoup de musées en province en avaient aussi bénéficié. Je faisais ces recherches parallèlement à ma thèse que j’ai soutenue en 1992 à la Sorbonne, sous la direction de Bruno Foucart. Son sujet, « Architecture et décoration des maisons construites par les Rothschild en Europe », a donné ensuite naissance à un livre publié en 1995.
On comprend mieux pourquoi cette famille vous est devenue familière…
Disons que je commençais à avoir une vision plus précise des choses, mais une fois que j’ai remis mon enquête au baron Élie, je ne m’en suis plus occupée. Ce n’est qu’en 2007 que j’ai décidé de m’y replonger et de faire un travail exhaustif sur les donations Rothschild. Entre-temps, j’avais découvert beaucoup de choses à Waddesdon Manor et même à Moscou ! Internet permettait également plus d’échanges avec les musées qui informatisaient leurs archives et des soixante mille œuvres, je suis passée à cent trente mille… Je suis allée voir les éditions Somogy et nous avons établi un partenariat avec le Louvre et la BnF. Je me suis entourée d’historiens de l’art, de conservateurs, et après de longues années, cet ouvrage a pu voir le jour en 2016.
Pour en revenir à l’exposition, quel a été votre rôle ?
J’ai rejoint l’équipe en tant que co-commissaire, avec Vincent Pomarède et Fanny Moens. Si l’angle des Rothschild collectionneuses était retenu, il fallait affiner, toutes n’ont pas la même typologie. Ma priorité a été d’ajouter la notion de mécène et de donatrice, car je voulais inclure le legs de la baronne Salomon qui est très important. Adèle a donné cinq mille œuvres à l’État, au Louvre, à Cluny… Elle avait reçu l’héritage colossal de son père, puis celui de son époux. Durant toute sa vie, elle en a pris soin, y ajoutant quelques pièces achetées personnellement. Sa sœur Thérèse a fait la même chose avec la collection de manuscrits et de livres anciens de son mari, le baron James-Édouard. Elles sont toutes les deux présentes dans l’exposition, je les appelle « les gardiennes du temple ».
Vos relations avec la famille ont aussi dû être précieuses pour les prêts…
Monter une exposition sur les Rothschild n’est pas simple… Effectivement, il faut que la famille joue le jeu car si beaucoup de choses sont dans les musées, il reste encore des œuvres très intéressantes en mains privées.
Comme le portrait de Charlotte par Ary Scheffer ?
Oui, il a été prêté par le baron Éric et est exceptionnel. Non seulement il est d’une grande beauté, mais il vient parfaitement compléter les nombreux dons que Charlotte a faits au Louvre, à commencer par La Laitière de Greuze, le premier tableau acheté par son père, le baron James. Le Louvre étant partenaire de l’exposition, la toile a fait le voyage jusqu’à Liège, tout comme le portrait de Charlotte par Gérôme et ses propres œuvres, car elle était une aquarelliste de talent. Charlotte remplit toutes les cases : collectionneuse, donatrice et artiste elle-même !