Que voyez-vous ? Ces gouaches d’Henri Michaux évoquent les tâches d’encre du psychiatre suisse Hermann Rorschah, dont la méthode de «psychodiagnostic» a été publiée en 1921. Ce test de personnalité basé sur l’interprétation, à la mode dans les années 1940 au sein du microcosme de Saint-Germain-des-Prés, ne pouvait qu’intéresser le poète cherchant à dépasser les apparences pour atteindre ce qu’il nommait «l’espace du dedans». Loin d’être convaincu, il écrit cependant au sujet de ces images : «Telles quelles, elles me sont odieuses et vraiment seulement des tâches, qui ne me disent rien. (Je n’ai jamais pu lire quoi que ce soit dans un “Rorschah.”) Donc je me bats avec elles.» Alors que les encres du médecin sont en elles-mêmes vides de sens, Michaux projette au contraire dans ses gouaches ses propres pensées et ses visions, peuplées d’une faune protéiforme. Ses images dialoguent avec ses mots, tracés en regard par Paul Éluard, que Michaux avait rencontré à l’époque où il fréquentait les surréalistes, après son arrivée à Paris, en 1924. Les phrases poétiques sont extraites du recueil Mes prophéties, publié en 1929, et du poème en prose «Animaux fantastiques», tiré du recueil Plume, édité en 1938. Éluard a dédié cet ouvrage poétique à sa fille, comme l’indique l’envoi figurant sur le dernier feuillet : «Pour les étrennes de Cécile 1944.»