Le démarrage du Loto du patrimoine a été affiché comme un succès. Trois millions de tickets sur douze ont été grattés les premières semaines de septembre ; dans le même temps, le tirage spécial de la loterie a engrangé quatorze millions d’euros, 30 % de mises de plus que la normale selon la Française des jeux. Après la mobilisation jamais démentie pour les Journées du patrimoine, ces chiffres témoignent de l’attachement des Français à un héritage, dont ils ne sont pas les simples spectateurs. Emmanuel Macron, qui avait bien besoin de remonter le moral de Stéphane Bern, s’est félicité de ce résultat. Celui-ci marque pourtant les limites de l’exercice : pour le moment (les tickets restent valables une année), les fonds affectés aux monuments en péril atteignent sept millions d’euros, soit le tiers de la promesse délivrée par Françoise Nyssen au début de l’été. Il peut être temps de rappeler la vérité des chiffres : en huit ans, l’État a fait reculer son aide au patrimoine de dix fois ce montant. En 2009, il avait dépensé 343 millions d’euros pour l’entretien des monuments historiques. En 2017, cette enveloppe est passée à 276 millions. Le Parlement avait bien adopté un budget de 319 millions, mais plus de quarante n’ont pas été engagés. Il y a une vingtaine d’années, un rapport officiel estimait à un demi-milliard d’euros par an les besoins pour maintenir le patrimoine et éviter des dégradations parfois irréversibles.
Aujourd’hui, deux mille sites sont considérés comme «en danger». Le Loto, initiative louable, vient compenser ces reculs à titre essentiellement symbolique. À ce jour, l’apport moyen pour les 270 monuments sélectionnés se monte à 26 000 €. C’est peu pour le château de Carneville, dont une partie du plafond du vestibule s’est écroulée et qui est infesté par la mérule. L’hôtel de Polignac, à Condom, aurait besoin de 250 000 €. Si certains sites ont su trouver un relais en dons, ce n’est pas le cas pour la plupart. La villa Viardot à Bougival, qui évalue son sauvetage à 500 000 €, a collecté 2 000 €. La maison de Pierre Loti à Rochefort dont on a beaucoup parlé , attaquée par les insectes et fermée depuis des années, est en quête de 400 000 € ; aux dernières nouvelles, elle a recueilli 1 300 €. Le calvaire de Lestelle a récolté 750 €, quand il a besoin de 110 000 €. La majorité des sites n’affichent pas de lien Internet, qui leur permettrait de relayer une campagne de collecte. Partout, les communes manquent de moyens, et de volonté aussi, pour sauver de la disparition les sculptures de nos églises. La moitié des monuments choisis sont portés par des particuliers, qui bénéficient de seulement 8 % des crédits consentis par l’État. Tous auront besoin de poursuivre ces travaux essentiels à leur survie. Beaucoup ne savent pas encore quel contenu ils pourront donner, avec le temps, au lieu qu’ils veulent aujourd’hui prémunir du désastre. La culture officielle en France adore les effets d’annonce. Pour s’inscrire dans la durée, c’est une autre histoire qui doit s’écrire.
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