Lors de son séjour en France, le peintre chinois a multiplié les portraits féminins, mariant technique occidentale moderne et âme asiatique éternelle. Bonne nouvelle, un grand tableau de sa main, récompensé en son temps, réapparaît à Lille.
Vêtues de l’élégante qipao, la longue robe chinoise en soie très en vogue dans les années 1930, deux jeunes femmes rêvent dans un salon au style asiatique, cependant qu’au second plan s’affaire une servante. Malgré les apparences, cette scène exquise n’a pas été peinte dans une grande demeure de Pékin ou de Canton, mais bien à Paris, comme l’indiquent les idéogrammes en haut à gauche. Car elle est l’œuvre de Chang Shuhong, un peintre venu de Chine en 1927. Auparavant, il a étudié la technique traditionnelle, celle des encres et des pinceaux à l’École des beaux-arts de Shanghai. Progressiste, il appartient à cette jeune génération remise en lumière par l’exposition «Artistes chinois à Paris 1920-1958», au musée Cernuschi en 2011 qui décide de s’exercer à la peinture occidentale en s’exilant en France. Et d’adopter en particulier l’usage de l’huile, permettant de faire chanter les couleurs et de donner brillance et profondeur au dessin. Chang Shuhong s’installe d’abord à Lyon, car ce centre international de la soie a tissé des liens commerciaux avec sa ville natale Hangzhou et attribue de nombreuses bourses d’étude aux étudiants chinois. C’est là, aux beaux-arts, qu’il apprendra le dessin d’après nature, en plein air et surtout le nu. Il participe dès 1931 au Salon de la cité rhodanienne, avec Le Chant de l’exil. On l’y retrouve l’année suivante, mais aussi à celui de Paris, présentant simultanément l’Habillage après la douche et un Portrait de Madame G., récompensé par une médaille d’argent. Premiers succès qui l’incitent à déménager pour la capitale française, où il s’inscrit à l’académie Julian ; en 1933, avec Lü Sibai, Liu Kaiqu et Xu Beihong, il fonde l’Association des artistes chinois en France.
Un trait d’union entre l’Orient et l’Occident
Les Deux sœurs au salon ont été redécouvertes cette année, dans une collection du nord de la France ; elles n’avaient été vues du public depuis 1936, date à laquelle la toile obtint une médaille d’argent au Salon des artistes français. Une «distinction remarquable, car c’est la première fois que le tableau d’un étudiant chinois, ou asiatique, y était ainsi honoré», souligne l’expert Marc Ottavi (assisté dans cette vente par Mme Li Ting Hung). C’est aussi l’une des dernières productions françaises de Chang Shuhong, qui décide de repartir dans sa patrie la même année. À cette date, il est déjà reconnu par l’État français, acquéreur de plusieurs de ses toiles ; l’artiste s’affirme alors en tant que peintre de la femme, sublimée par lui à travers toute une galerie de portraits, habillés ou dénudés. Des œuvres qui marient toujours subtilement les deux cultures, l’extrême-orientale et l’européenne. À l’évidence, de cette dernière école émanent l’attitude des figures, la composition générale et la technique. Cependant, l’art de Chang Shuhong cherche toujours à traduire l’intériorité des modèles, une constante dans la représentation chinoise, comme le donnent à voir ces deux femmes tournées l’une vers l’autre et perdues dans leurs pensées.