En manipulant des structures de fer qui devaient supporter le plâtre d’une œuvre en cours, César en a découvert le potentiel. Il avait aussi en tête les sculptures faites d’objets trouvés de Picasso. Le Centaure en sera la synthèse.
Le 10 octobre 1985, au carrefour de la Croix-Rouge (l’actuelle place Michel-Debré), dans le 6e arrondissement de Paris, est finalement inaugurée une sculpture monumentale. Elle ne figure ni une personnalité littéraire, artistique ou politique, ni un roi ou un prince. Juste un immense centaure, auquel César (1921-1998) a prêté les traits de son visage, à peine cachés par un masque reprenant ceux de Picasso, son prédécesseur avec Julio González dans le travail du fer. Pierre Daix, l’un des meilleurs spécialistes de Picasso, souligne que le sculpteur crée «dans les trois dimensions l’équivalence de ce qu’est la touche dans la peinture». Celui-ci a réalisé un audacieux mélange d’homme et de cheval, selon la créature mythologique bien sûr, privilégiant toutefois les éléments humains. Et, fougue méditerranéenne oblige, l’a doté d’une virilité imposante, ce qui a naturellement choqué de prudes passantes. À cette date, César est un artiste célèbre, renommé pour ses sculptures en fer soudé dont ce centaure dérive , ses expansions et ses compressions. La galerie Lucien Durand l’expose dès 1954 et deux ans plus tard, il participe à la Biennale de Venise. Il est devenu l’une des personnalités préférées des Français, tout en jouissant d’une clientèle fortunée. Figure reconnaissable à sa barbe, engoncé dans un duffle-coat, il possède aussi un humour corrosif. L’année de naissance du César du cinéma, en 1976, le conservateur du musée Picasso à Antibes, Romuald Dor de la Souchère, lance un projet qui se veut un hommage au Malaguène, décédé trois ans plus tôt, par des artistes contemporains. Une manière de dresser un inventaire de son héritage à travers leurs propres compositions. César choisit de se référer à la fois aux nombreux animaux peuplant son œuvre, mais aussi à leur attachement commun aux mythes grecs ; notamment celui du Minotaure, qui, à l’égal du centaure, symbolise la force sauvage, la pulsion sexuelle exacerbée, l’ivresse. Une colombe posée sur le poing de l’homme-cheval vient ponctuer son hommage à l’artiste libre. Dessins, esquisses, modèles en cire se succèdent, mais la sculpture reste au stade de projet, faute probablement de moyens financiers. Jusqu’à ce que Jack Lang relance l’entreprise en 1983, en commandant des statues à différents sculpteurs. César passe à la phase de réalisation, avec la mise à échelle des maquettes, aboutissant à une sculpture définitive mesurant près de 5 mètres de hauteur. Des versions plus petites, davantage aux dimensions d’un parc ou d’un intérieur de collectionneur, sont également réalisées par son ami et fondeur habituel, Régis Bocquel. Cette épreuve, d’environ un mètre, conserve toute la majesté de l’œuvre originale.