Enluminures rehaussées d’or et calligraphies précieuses sont au rendez-vous dans un riche livre d’heures du XVe siècle, mais aussi une surprise : son auteur est une femme.
Livre d’heures à l’usage de Reims, XVe siècle, signé de Mariette Person Thyret, vélin, reliure d’époque, 17,5 x 12 x 5,5 cm.
Dimanche 3 avril 2016, Reims, Guizetti-Collet SVV
Estimation : 25 000 / 30 000 euros
L’inscription à l’encre dorée s’étale fièrement sur l’un des premiers feuillets de ce livre d’heures : «Je Mariette femme de Person Thyret escrivain demeurant à Reims ay escripte ces heures de ma propre main». Un émouvant témoignage de celle qui, au XVe siècle, en couvrit les pages d’une savante calligraphie gothique, et l’orna probablement aussi de ses délicates miniatures. Le précieux ouvrage appartient à cette catégorie très particulière de livres religieux qui se répand dans l’aristocratie puis la bourgeoisie à partir du XIVe siècle. Recueil de prières et de textes sacrés, imité du bréviaire des clercs, le livre d’heures est destiné au seul usage des laïcs. Il devient en quelque sorte le support de leur dévotion personnelle et se calque sur l’habitude monastique de prier huit fois par jour, de matines à complies. Une particularité, majeure, le caractérise : l’emploi de la langue vernaculaire, le français dans la plupart des cas, pour les commentaires. On y retrouve souvent le même contenu, un calendrier des fêtes et de leurs prières, les chapitres les plus importants du Nouveau Testament, et les litanies de la Vierge. Cependant, les contenus peuvent varier d’un diocèse à l’autre et s’agrémentent parfois d’invocations aux saints locaux. Notre exemplaire était rédigé à l’usage de Reims. Il provient de cette opulente province de Champagne qu’enrichissent les grandes foires, où s’échangent draps, cuirs et denrées. Elles font la fortune d’une bourgeoisie commerçante qui veut marquer sa réussite sociale par l’acquisition de ces livres somptueux, destinés surtout à des épouses instruites. Ces mécènes sollicitent alors toute une corporation d’enlumineurs régionaux et parisiens, voire internationaux. En 2007, l’exposition itinérante consacrée aux «Très riches heures de Champagne» mettait en lumière ces artistes, aujourd’hui sans identité, œuvrant pour leurs clients de Troyes, Châlons et Reims : le Maître de Rohan, celui des Heures de Troyes ou le Maître du Walters, d’origine lombarde… Avec la redécouverte de ce manuscrit détenu par une famille de la région, c’est une femme qui sort de l’anonymat, Mariette Person Thyret. Les six grandes enluminures ornant son ouvrage mettent en scène la vie de la Vierge (l’Annonciation et la Dormition), les épisodes de la Passion (Jésus au jardin des oliviers et la Crucifixion), et les deux figures prophétiques de saint Jean-Baptiste et du roi David. Dans les marges s’épanouissent rinceaux de fleurs champêtres et même fraisiers, parfois habités d’anges musiciens. Le programme iconographique est respecté, soutenu par une vive palette de rouge, de vert et de bleu, abondamment rehaussée de feuille d’or sur les nimbes, vêtements, lettrines et encadrements. D’indéniables qualités esthétiques, une rareté due au sexe de son auteur, mais aussi au petit nombre de ces pièces rémoises ayant survécu à la Première Guerre mondiale : toutes les conditions sont réunies pour assister à une belle bataille d’enchères autour de ces Heures féminines.