S’il vient tout juste de mettre en sommeil sa galerie londonienne pour cause de Brexit, le galeriste parisien casse les codes en ouvrant en décembre dernier un nouvel espace à Miami, partagé avec sa consœur Lélia Mordoch.
Pouvez-vous nous présenter la ligne artistique de votre galerie ?
J’assume avoir fait un choix un peu particulier lorsque j’ai ouvert la galerie, il y a douze ans, qui pourrait relever d’une erreur de marketing en ne définissant pas une ligne directrice affirmée, en laissant le temps de mettre en place des affinités fortes entre artistes au fil des confrontations et des combinaisons. Ceux que nous défendons, avec mon frère et associé Nicolas, sont tous contemporains et viennent d’horizons géographiques et artistiques différents. Certains s’expriment en photographie (Tali Amitai-Tabib, Jean-Pierre Attal, Rune Guneriussen, Aleix Plademunt, François Ronsiaux), en peinture (François Bard, Jérôme Lagarrigue, François Borel, Jorge Enrique, Xavier Escribà, Cesar Santos), en design (Stéphane Ducatteau) ou en art électronique (Fabien Chalon, Alain Le Boucher).
Quelle est la fourchette de prix ?
Les œuvres les moins chères oscillent entre 1 500 et 4 000 €, pour ensuite monter entre 30 000 et 60 000 €.
Avec Paris pour épicentre, vous rayonnez depuis 2010 à Miami et vous vous étiez installé à Londres en 2015. Vous venez de fermer cet espace. Pourquoi ?
Nous avons choisi de mettre la galerie londonienne en sommeil pour des raisons d’actualité évidentes, et ce qui peut paraître comme un relatif échec en France relève outre-Manche d’une adaptation aux fluctuations du marché. Je continue néanmoins d’être présent dans la capitale britannique auprès des collectionneurs, avec lesquels j’ai noué avec le temps des relations fidèles, et ouvrirai plus tard une galerie dans un autre quartier, peut-être dans le East End ou à Battersea, qui est en plein développement.
Vous avez créé la surprise en décembre, par l’annonce de la création d’une galerie commune à Miami avec Lélia Mordoch…
Nous avons choisi de fusionner nos espaces : nous sommes voisins et amis à Paris depuis fort longtemps, et nous étions aussi voisins à Miami, dans le quartier de Wynwood. L’idée du partage m’est apparue intéressante, ce qui ne va pas forcément de soi en France, où nous sommes dans un modèle davantage individualiste. Je n’invente rien, ce phénomène est de plus en plus fréquent depuis cinq-six ans. Il nous a paru intéressant de joindre nos forces et nos structures et ainsi travailler sur des complémentarités.
Quelles sont-elles ?
Des galeries telles que les nôtres, à savoir des petites structures avec peu de collaborateurs, ne nous permettaient pas d’être suffisamment mobiles et flexibles. Nous pouvons désormais combiner nos agendas de façon plus efficace, démultiplier notre présence sur les foires, l’un pouvant tout à fait représenter l’autre, ce que nous avons d’ailleurs commencé de faire il y a déjà trois ans. Nous pourrons également structurer et renforcer notre approche envers les institutions. Artistiquement, nous avons de nombreuses affinités, et nous représentons déjà à deux Alain Le Boucher, connu pour ses réalisations monumentales.
Comment pouvez-vous représenter le même artiste alors que vos galeries sont voisines ?
A-t-on vraiment besoin d’être seul à défendre un artiste ? Lorsque j’ai commencé ma carrière dans le marché de l’art, il y a vingt-trois ans maintenant, les conditions étaient assez différentes et il pouvait y avoir un sens d’être la galerie exclusive d’un artiste ; le volume des ventes pouvait le justifier. Aujourd’hui, le marché a beaucoup évolué et les canaux de diffusion de l’art se sont démultipliés. Les collectionneurs et amateurs sont en manque de repères face aux sources d’informations exponentielles, au nombre conséquent d’expositions, de galeries, de foires internationales, de market places… Si l’on ajoute un état psychologique du monde moins serein, entre terrorisme d’un côté, Brexit et marchés financiers instables de l’autre, ce dernier fait étant particulièrement sensible auprès de nos collectionneurs sud-américains, on observe que les mécanismes d’achat sont plus complexes et les décisions plus lentes. Partant de ce constat, les acteurs du marché ont paradoxalement et heureusement ! besoin de plus de relations humaines, mais dans un contexte de discours et d’échanges nouveau. Nous sommes à un moment intéressant pour peut-être redéfinir notre métier et l’élargir notamment au rôle de conseiller en art, ou art advisor puisque les Américains restent dominants dans les terminologies du métier !
Vous n’avez pas créé une nouvelle entité à Miami…
Non, nous avons partitionné un grand espace, en conservant un passage de l’un à l’autre, et chacun garde son nom, son entrée, sa vitrine et son enseigne. Il ne s’agissait pas de fusionner nos identités et nos lignes artistiques, mais d’offrir aux visiteurs un espace plus vaste et ouvert et, pour Lélia et moi, de voir ce qui, à l’usage, peut avoir du sens et naître comme type d’idées.
Quels sont les autres projets illustrant cette ouverture d’esprit ?
Aujourd’hui, nous ne pouvons pas ignorer le monde de l’entreprise, avec ses collections ou ses fondations. La Société Générale a ainsi acheté des photographies d’Aleix Plademunt il y a bientôt dix ans et, l’année dernière, un tableau important de François Bard. Christian Dior a collaboré avec ce dernier pour la collection Homme printemps-été 2018 ; nous avons également contribué, avec les artistes Jérôme Lagarrigue et Tali Amitai-Tabib, à un projet de bourses pour une école en Haïti soutenu par la banque Messchaert. D’autres initiatives de cet acabit suivront ; c’est utile, nécessaire et cela permet de s’ouvrir à de nouveaux publics.
Les foires sont-elles importantes pour votre chiffre d’affaires ?
Oui. Sur les sept ou huit foires auxquelles je participe chaque année, je réalise environ 60 % de mon chiffre d’affaires, 10 % s’effectuant sur Internet et le reste à la galerie.
Vos artistes ont-ils plus ou moins de succès selon les manifestions ?
Oui, les goûts sont culturels et la culture est attachée à une terre. À Miami, où la population latino-américaine est très forte, la réaction a été immédiate pour le jeune Cubain Cesar Santos, que j’exposerai à Paris pour la première fois à l’automne ; ici, François Bard, Jérôme Borel et Jérôme Lagarrigue remportent l’adhésion des visiteurs. Je vais tester l’Asie avec Art Central Hong Kong, du 27 au 31 mars, autour d’un projet d’exposition sur lequel je travaille depuis un an en réfléchissant à ce marché précis. Je vais y présenter les photographies de Cédric Arnold que le public parisien a découvert en 2014 dans l’exposition «Tatoueurs, tatoués», au musée du quai Branly - Jacques Chirac ; Jonathan Huxley, artiste britannique diplômé et professeur à la Royal Academy, est déjà très actif en Asie et son vocabulaire artistique semble trouver une grande résonance dans les goûts de collectionneurs asiatiques que j’ai rencontrés en Europe. Et nous verrons si François Bard et le franco-béninois Stevens Dossou-Yovo, qui fonctionnent déjà très bien internationalement mais que nous n’avons pas encore vendus dans cette région, trouvent un public !
Et que préparez-vous pour la suite de l’année ?
L’actualité de la galerie parisienne sera intense, avec tout d’abord une exposition rétrospective pour les vingt-cinq ans de carrière de Fabien Chalon, accompagnée de la sortie d’un beau livre, dont Ruedi Baur signe le graphisme et pour lequel nous avons l’amicale contribution littéraire de Yannick Haenel, Isabelle de Maison Rouge, Mazarine Pingeot et Étienne Klein, pour ne citer qu’eux. Ensuite, après Art Central Hong Kong, j’enchaîne Art Paris, au Grand Palais, où nous présenterons un solo show du grand artiste catalan Xavier Escribà.