Directeur général de la Fondation Bettencourt Schueller, Olivier Brault nous dit tout sur la politique de soutien et d’accompagnement des métiers d’art, menée par l’institution depuis dix-huit ans.
Depuis 2012, Olivier Brault s’applique à concrétiser la devise de la Fondation Bettencourt Schueller : «donner des ailes au talent». Un travail de longue haleine, symboliquement entériné par la nomination du centième lauréat du prix Liliane Bettencourt pour l’intelligence de la main, le 10 octobre dernier. De quoi donner à Olivier Brault l’envie de renforcer l’esprit de famille qui préside aux actions de la Fondation.
La philosophie du prix a-t-elle évolué depuis 1999 ?
Oui et non. L’intention profonde est assez stable : mettre les métiers d’art dans la lumière et montrer leur valeur, par le décloisonnement et l’innovation, sans les enfermer dans le secteur de la restauration et de la perpétuation des savoirs. On a voulu mettre l’accent sur le levier de la modernité : ce qui s’est traduit dans l’histoire du prix. Le premier, Talents d’exception, est un concours entre artisans d’art organisé par matières : le bois et la facture instrumentale, le verre, la céramique, le cuir, la pierre, l’ébénisterie, les métaux précieux et non précieux, les textiles jusqu'en 2009. Depuis, tous les savoir-faire peuvent concourir chaque année. En 2010, nous avons créé Dialogues, qui récompense l’œuvre résultant de la coopération entre un artisan d’art et un créateur. L’idée est de croiser les regards. On juge la pièce, mais aussi la qualité et l’efficacité de la collaboration. Depuis 2014, Parcours est décerné à une personne ou une institution exemplaire, contribuant fortement au secteur.
2014 a systématisé l’accompagnement des lauréats ?
À la dotation de 50 000 € reçue par les lauréats, nous avons ajouté un accompagnement qui est une aide pour la prochaine étape de leur développement. Définie avec eux, elle peut être de toute nature : structuration, recherche, renforcement de la capacité de produire, construction d’outils de communication, conquête d’un marché… Choisir, accompagner, valoriser durablement est l’essence de notre soutien. C’est la façon de travailler de la Fondation, créée par une famille qui n’a pas les obligations de construire des politiques publiques : les gens comptent et le temps aussi.
Que deviennent vos lauréats ?
Le prix est devenu un «label d’excellence des métiers d’art français». Il donne un coup d’accélérateur aux parcours. Certains sont emblématiques. Ludovic Avenel, ébéniste et créateur de mobilier le plus jeune lauréat, à 23 ans , a développé une entreprise d’une trentaine de salariés et a siégé cette année dans le jury du Prix. Il a aujourd’hui un rôle d’entraînement dans la communauté des métiers d’art. Tout comme François-Xavier Richard. Il a renoué avec les techniques du papier peint à la planche, a agrandi son atelier et poursuivi ses recherches à la villa Kujoyama de Kyoto, dont la Fondation est mécène. Il vient de participer à l’exposition «Wonder Lab» présentée à Tokyo, et travaille sur le futur «Toguna» du palais de Tokyo.
Comment l’image de l’artisanat d’art a-t-elle évolué en France ?
On assiste à un renversement complet. Il y a vingt ans, les métiers de la main étaient ringards. C’était méconnaître l’histoire, la richesse, le talent, les valeurs qui sont derrière. Aujourd’hui, au contraire, ce trésor est reconnu. Depuis le début des années 2010, les indicateurs de l’intérêt du public pour les ouvertures d’ateliers lors des Journées européennes des métiers d’art ne cessent de progresser. L’ère du clic et de la consommation rapide ne satisfait plus et on revient aux fondamentaux. Les métiers d’art sont en outre un facteur de rayonnement international : 80 % du chiffre d’affaires du secteur se fait au-delà de nos frontières. L’industrie du luxe l’a parfaitement compris et contribue énormément à ce rayonnement. L’artisanat d’art est un trésor français, dont la diversité et la richesse sont uniques. Le regard dominant a changé, mais cette tendance doit s’amplifier, grâce une sensibilisation reprise chaque année.
Qu’en est-il de la transmission des savoir-faire et de la formation ?
C’est l’une de nos grandes orientations en dehors du prix. Nous sommes les philanthropes des métiers d’art, grâce à des dons à des organisations, des associations, des institutions, et des structures publiques ou privées qui essaient de relever les défis qui leur sont propres. On peut citer en premier lieu l’Institut national des métiers d’art, cheville ouvrière du titre de maître d’art, décerné par le ministère de la Culture aux artisans émérites détenteurs d’un savoir-faire à transmettre. Autre programme, celui de l’Académie de l’Opéra national de Paris, permettant aux artisans d’art de suivre une formation au sein de ses ateliers. Nous avons également aidé l’école Boulle dans ses programmes d’échanges, et nous avons mis en place une chaire «Innovation & savoir-faire» à l’École nationale supérieure des Arts décoratifs. Les ateliers permettent de croiser la vision des maisons détentrices de savoir-faire, l’œil d’un créateur et les enseignements de l’école.
Vous participez également à la sensibilisation des plus jeunes ?
Il faut rapidement éveiller l’esprit, la sensibilité, l’œil. Plus c’est tôt, mieux c’est. Nous essayons de le faire à travers de nombreuses initiatives. Par exemple en soutenant le cycle d’ateliers «Entrée en matière», à la Cité des sciences et de l’industrie pendant les Journées européennes des métiers d’art. Nous sommes également le soutien du château de Versailles, où des salles pédagogiques vont expliquer la contribution des métiers d’art au rayonnement de Versailles. Nous épaulons aussi l’Union des associations l’Outil en main. Une belle initiative de gens du métier : retraités, ils accueillent les enfants à l’atelier pour les initier à leur savoir.
Comment éviter la disparition des savoir-faire ?
Des métiers d’art disparaissent sans doute. On y est sensible en France car on en a répertorié 281. Pour autant, notre vision est très optimiste, car ce secteur se régénère : la moitié de telles entreprises n’existait pas il y a dix ans. Il y a quelques très belles maisons transmises de génération en génération, mais aussi des bataillons de nouveaux artisans d’art formés dans les écoles de beaux-arts, à l’ENSAD, ou dans des maisons qui n’ont pas forcément privilégié des approches de nature conservatrice. Ils ont appris le digital, ont été initiés à la transversalité, au croisement des matériaux, à l’inclusion de la «tech» dans la tradition. Cette réalité sociologique rejoint notre conviction que c’est par la modernité, la recherche et la créativité, que le renouveau arrive. Cela fait partie du génie français. La tradition est ce qu’on a reçu, mais c’est parce qu’on la réinterprète sans cesse qu’on la rend vivante et féconde.
Depuis 2014, les métiers d’art créent la surprise au palais de Tokyo. Une volonté de faire bouger les lignes ?
Quand la création contemporaine ne fuit pas la matière, le geste et le savoir-faire, elle est étonnamment prolifique. Pour nous qui avons la conviction que les métiers d’art sont incroyablement contemporains, il fallait aller au palais de Tokyo, emblématique de la scène culturelle parisienne. Jean de Loisy le croit également. Artistes et artisans d’art vont donc créer conjointement le Toguna, un lieu atypique de rencontre avec le public, renouvelant les approches sur les métiers d’art. Héritage du passé, ils sont une composante de la création d’aujourd’hui.