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Nicolas Aubagnac, l'art et la matière

Publié le , par Oscar Duboÿ

Pour célébrer ses vingt ans de création, le createur a imaginé à la galerie Pierre-Alain Challier un dialogue entre mobilier et art contemporain.

© Sophie Zenon Nicolas Aubagnac, l'art et la matière
© Sophie Zenon

On a pu le voir à la galerie Alexandre Biaggi, au VIA, puis au PAD et de salons en salons, Révélations ou AD Collections… Nicolas Aubagnac ne voulait pourtant rien de tout cela pour fêter ses vingt ans de carrière : «Depuis l’exposition de mes dix ans à la galerie Joyce, j’ai enchaîné plusieurs expériences, mais cette fois je voulais une galerie d’art contemporain afin de refléter cette transition vers une forme d’épure que je ressens aujourd’hui dans mon travail. Il fallait donc trouver un lieu qui soit moins connoté arts décoratifs et j’ai pensé à Pierre-Alain Challier.» Si les deux hommes se connaissent de longue date, leurs univers respectifs auront mis du temps avant de se croiser. Mieux encore, ils s’apprivoisent aujourd’hui grâce à cette exposition où le designer a obtenu carte blanche pour faire dialoguer ses nouvelles créations avec les œuvres d’artistes de la galerie. Tâche audacieuse quand on sait l’éclectisme avisé de Pierre-Alain Challier, qui a ainsi assuré une pérennité à la mythique collection d’objets d’art de l’ex-galerie Artcurial, tout en soutenant une plus jeune création qui mélange les supports avec aisance. Bijoux, photos, tableaux : rien n’a été laissé de côté dans ce jeu de correspondances à règles variables. S’il en tire les ficelles, en bon artiste, Nicolas Aubagnac n’oublie jamais pour autant la liberté d’interprétation.
 

Table basse Helios, design Nicolas Aubagnac, piétement en érable massif noirci huilé et ciré, plateau de marqueterie de paille noire, verre de protect
Table basse Helios, design Nicolas Aubagnac, piétement en érable massif noirci huilé et ciré, plateau de marqueterie de paille noire, verre de protection, édition limitée à 8 exemplaires.
© Hervé Lewandowski

Matières à émotion
«J’ai aimé trouver des fils rouges à travers ce parcours, mais je ne fais que proposer une promenade et n’impose absolument aucune lecture. Si le visiteur en a une autre, tant mieux : c’est le pouvoir évocateur des objets qui compte et sa façon de solliciter l’imaginaire de celui qui le regarde, générer du fantasme… Il y a la fonction mais aussi la fonction du rêve», nous confie-t-il en dévoilant la mystérieuse lampe Notte. Inspiré par la forme pure d’un plot en pierre croisé dans la rue, son pied nous envoûte avec les méandres créés par des pâtes de verre noires, telle une fumée d’encre, non loin de l’effet laissé par le feu sur le dessin d’Alexandra Loewe. Du réel au musée, c’est toute l’étendue de l’univers de Nicolas Aubagnac qui se décline grâce à cette exposition, suggérant l’esprit d’ouverture qui caractérise de plus en plus son travail. Ainsi, certaines de ses pièces ont pu évoluer avec le temps, comme ce guéridon Syracuse, débarrassé des ornements de son plateau byzantin au profit d’une forme en pierre de Bourgogne plus sobre. «On dirait une manchette ou un bracelet, remarque-t-il à propos du piétement en acier massif forgé, doré à la feuille. J’ai réalisé que les valeurs ajoutées du plateau précédent et du piétement finissaient par s’annuler entre elles, alors j’ai voulu aller vers quelque chose de plus épuré. Sans doute le fruit d’une maturité qui me permet désormais d’assumer des formes plus simples sans les trouver pauvres.» Tels sont les propos d’un designer, émancipé de ses classiques, pour mieux atteindre l’essentiel. Si ces petites séquences de duos révèlent un changement de références, de l’architecture à l’art, elles nous rapprochent encore un peu plus du véritable noyau dur qui anime les meubles de Nicolas Aubagnac : «La matière reste toujours le dénominateur commun. C’est elle qui suscite une émotion et qui va ensuite générer la forme.» Une matière qui a été lentement étudiée et apprivoisée, le temps pour l’artiste d’affiner sa sensibilité. Afin d’éviter le bruit désagréable du choc avec le verre ou le métal, il faudra par exemple éviter ces matériaux pour le plateau d’un guéridon et privilégier la résine et le son plus sourd qu’elle provoque. Ailleurs, on se laissera surprendre par les différents aspects d’une laque posée par gouttes au lieu des couches habituelles… Partout, les effets de matière semblent définitivement avoir remplacé l’ornement graphique : ils sont à la base du geste créateur qui permet à ces meubles de se singulariser, à la façon des œuvres d’art. Quoi de plus évident que de les retrouver dans une galerie d’art contemporain finalement ? D’ailleurs, l’exercice a donné des idées à Nicolas Aubagnac : «C’était intéressant de trouver des fils rouges entre toutes ces pièces et ça ne me déplairait pas d’aller un peu plus loin dans le travail de scénographie. Peut-être ai-je l’impression d’avoir aujourd’hui une culture et une maturité qui me permettraient de le faire… » À suivre.

Alexandra Loewe, Hydra 03 (Constellation), 2011, dessin au feu sur papier. Courtesy Galerie Pierre-Alain Challier
Alexandra Loewe, Hydra 03 (Constellation), 2011, dessin au feu sur papier.
Courtesy Galerie Pierre-Alain Challier
À VOIR
Nicolas Aubagnac, galerie Pierre-Alain Challier,
8, rue Debelleyme, Paris IIIe, tél. : 01 49 96 63 00,
Du 8 au 23 septembre 2018.
www.pacea.fr
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